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Ainsi à Naples la France et l’Angleterre agissent de concert ; en Orient, elles se divisent et marchent dans un sens contraire. Ce n’est pas tout ; les journaux de Londres représentaient récemment l’affaire de Naples comme une épée dont la pointe était dirigée contre le cœur des maîtres de la Lombardie, et à Constantinople l’Angleterre se retrouve en parfait accord avec l’Autriche. La Turquie elle-même, tiraillée en tout sens, va de l’un à l’autre, écoutant la France lorsqu’il s’agit de réclamer la retraite des Autrichiens, et se tournant vers l’Autriche pour empêcher la réunion des principautés. Disons le vrai, ce qui est le plus frappant dans toutes ces affaires, qui suivent un cours si singulier depuis quelque temps, c’est moins peut-être la gravité des questions elles-mêmes que toutes ces contradictions de conduite, ces déréglemens, ces incohérences qui dénotent une perturbation générale dans toutes les relations. Lorsque la guerre d’Orient a éclaté, il est devenu manifeste qu’une ère nouvelle se préparait. Cette guerre a placé les hommes d’état en présence des grands intérêts européens, elle a brisé des alliances surannées qui pesaient sur toutes les situations, et, en rendant aux gouvernemens leur liberté, leur indépendance, elle leur permettait de former de nouveaux liens ; mais qu’est-il arrivé ? Au lieu de chercher dans cette situation exceptionnelle les élémens de combinaisons meilleures et durables, chacun semble songer avant tout à un intérêt personnel assez étroit. Les journaux de Vienne ne Font point caché, l’Autriche veut d’abord faire régner sa prépondérance politique et commerciale sur le Bas-Danube. La presse anglaise également n’a point dissimulé que pour l’Angleterre il n’y avait que l’intérêt britannique, et il y a eu un jour où elle a expliqué aux commerçans de la Cité de Londres comment on n’allait point à Naples uniquement dans une pensée de philanthropie et de réforme libérale. De là le malaise qui est passé dans toutes les relations. Cela veut-il dire que la guerre soit près de renaître et que nous soyons au bord d’un volcan, ainsi que vient de le dire le fils de l’illustre Robert Peel dans un meeting où il a raconté le voyage qu’il vient de faire en Russie ? On pourrait peut-être y arriver avec l’esprit qui perce dans le discours de sir Robert Peel : il n’en sera point ainsi sans doute ; seulement dans les difficultés actuelles il y a un enseignement fait pour frapper les esprits réfléchis en France et en Angleterre. Ces difficultés en définitive tiennent en grande partie aux divergences vraies ou supposées des deux pays. L’Angleterre peut bien céder à quelque velléité de rapprochement avec l’Autriche, mais il y a loin de là encore à une alliance plus intime, qui serait sans doute fort impopulaire au-delà du détroit. De même la France peut bien être sensible aux amabilités et aux soins de la Russie ; elle ne saurait s’y tromper cependant, et elle ne se méprend pas sur la valeur de démonstrations calculées. La véritable alliance aujourd’hui, celle qui est la garantie de l’Europe, c’est l’alliance de la France et de l’Angleterre. Si on pouvait avoir un doute, il n’y aurait qu’à observer d’où viennent les efforts pour désunir les deux pays, où conduisent les refroidissemens passagers. La confusion de la politique européenne fait toute la force de la Russie dans la résistance qu’elle a opposée jusqu’ici à la stricte application des clauses de la paix relatives à la délimitation des frontières. Là est le mal, et le remède est dans l’alliance des deux puissances occidentales libéralement conçue et sincèrement pratiquée.