Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous n’avons malheureusement point à signaler la fin des perturbations qui se sont produites depuis cinq semaines dans les marchés financiers et commerciaux de l’Europe. L’Allemagne, où le désordre s’était d’abord révélé, semble à la vérité se remettre un peu : le taux de l’intérêt a baissé de 9 à 7 pour 100 à Hambourg, il est revenu à 6 pour 100 à Francfort ; mais en France il n’y a pas encore d’amélioration sensible, car les causes de la gêne dont y souffrent les affaires n’ont point cessé d’agir. Nous sommes donc toujours réduits à en étudier l’influence.

Parmi ces causes, la plus directe, celle qui agit le plus immédiatement sur les esprits et sur le mouvement du crédit, est l’exportation du numéraire. Or la France n’en a point fini encore avec les exporiations métalliques. Nous avons été obligés d’envoyer cette année des métaux précieux au dehors pour deux motifs : pour payer les déficits de notre production agricole, et pour opérer les versemens appelés par des entreprises étrangères que le capital français a commanditées. Sur le premier point, il nous reste encore à faire à l’étranger des paiemens considérables ; le commerce marseillais estime par exemple à 20 ou 25 millions les sommes qu’il devra envoyer, pendant le mois de novembre, en Égypte, seulement pour y acquitter ses achats de blé. Quant aux obligations contractées à l’étranger par le capital français, elles poseront sur nous jusqu’au milieu de l’année prochaine. L’homme d’état habile et hardi qui a entrepris de réorganiser les finances autrichiennes, M. de Bruck, n’aura pas peu contribué sur ce point à créer et à prolonger nos embarras. Le plan de M. de Bruck a été exposé, il y a un an, avec beaucoup d’intelligence et non sans une certaine grandeur, dans une brochure qu’a déjà signalée la Revue[1]. Depuis son arrivée au ministère, M. de Bruck a voulu faire concourir le développement de l’industrie autrichienne, par la création d’institutions de crédit et la construction accélérée des chemins de fer, à un grand résultat : la reprise des paiemens en espèces dans l’empire. M. de Bruck veut avoir la gloire de dégager enfin le crédit autrichien de l’anarchie et de la honte du papier-monnaie. Après avoir fondé les établissemens de crédit qui lui paraissaient nécessaires, après avoir aliéné à l’industrie privée des lignes considérables de chemins de fer et des portions importantes du domaine de la couronne, M. de Bruck a cru le moment venu d’atteindre son grand but, la restauration de la circulation métallique. Le gouvernement autrichien a donc exigé que les versemens fussent précipités sur le capital des entreprises récemment créées ou aliénées. De là les appels de fonds réitérés qu’adressent à leurs actionnaires les grandes et récentes affaires constituées en Autriche à l’aide du capital étranger. M. de Bruck espère avoir réuni ainsi toutes ses ressources vers le mois de Juillet 1857. S’il réussit dans son projet, qu’il a conduit, suivant nous, avec une brusquerie téméraire, le rétablissement des finances autrichiennes sera dû en grande partie au capital français. Dans tous les cas, les exigences de M. de Bruck nous auront coûté des embarras qui se prolongeront jusqu’au milieu de 1857.

La bonne tenue de l’Angleterre au milieu de cette crise ne se dément point, et nous permet d’espérer que le continent en sortira sans complications plus

  1. Voyez l’étude sur les finances autrichiennes, livraison du 15 juillet 1856.