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ministère est résolu à ne pas plier devant l’esprit ultra-protestant et à rester fidèle aux prescriptions libérales de la constitution, on peut se demander pourquoi il existe, pourquoi il est venu supplanter un cabinet qui professait cette politique. S’il se laisse pousser par les passions religieuses dans une voie de réaction, il rencontrera sans doute une vigoureuse résistance chez tous les libéraux comme chez les catholiques néerlandais. C’est une lutte périlleuse à engager. À travers toutes ces diversions de la politique, la Hollande vient de perdre un homme d’un nom populaire, le poète national Tollens, qui était presque octogénaire, et qui avait conservé jusqu’à ses derniers momens toute la fraîcheur de son esprit. Tollens vient de s’éteindre à Ryswick, village historique près de La Haye. Sa carrière poétique embrasse plus d’un demi-siècle ; il s’est inspiré surtout de scènes de la famille, de la vie maritime de la Hollande, des coutumes nationales. Ses vers sont d’une gracieuse pureté et ont une grande netteté d’expression. Chaque famille a pour ainsi dire recueilli et goûté ses poésies. Tollens s’est trouvé sans effort le poète aimé d’un pays dont il a chanté les mœurs, les sites et les glorieux souvenirs, et sans effort aussi il a obtenu un succès qui ne s’évanouit point avec lui.

Nous continuons d’assister en observateurs plus surpris qu’amusés et plus attristés que surpris au spectacle des saturnales qui accompagnent l’élection présidentielle aux États-Unis. L’issue de la lutte ne paraît plus douteuse. La Pensylvanie est, comme on sait, la clé de voiite de l’Union américaine. Sa position géographique entre les états du nord et les états du sud et son influence politique font de cet état l’arbitre du combat que se livrent les deux grandes sections de la république. Le vote de la Pensylvanie est le présage presque assuré du résultat de la lutte électorale. C’est le 4 novembre que les héritiers de la colonie fondée par William Penn nommeront les électeurs présidentiels ; mais d’autres élections, celles des fonctionnaires de l’état, qui viennent d’avoir lieu, indiquent assez quelle sera la fortune de la journée du 4 novembre. Ces élections ont donné une grande majorité aux candidats démocrates. La Pensylvanie se prononcera donc pour M. Buchanan, et déjà la presse anglaise commence à calculer l’influence que son avènement présidentiel peut avoir sur la politique générale. Si l’on consulte d’un côté les antécédens de M. Buchanan, de l’autre les tendances actuelles du sud allié au parti démocratique, il est difficile de tirer un horoscope heureux de la présidence qui se prépare. M. Buchanan, rompu à toutes les manœuvres du parti démocratique, le plus discipliné et le moins scrupuleux des partis américains, s’est fait surtout remarquer jusqu’à présent par la souplesse de ses doctrines et la ductilité de sa conduite. Il sera l’instrument, non le chef de son parti. Lorsque le parti démocratique lança son manifeste électoral sur la plateforme de Cincinnati, M. Buchanan accepta sa candidature et la caractérisa par cette singulière déclaration : « Représentant du grand parti démocratique, je ne suis plus James Buchanan ; je dois conformer ma conduite à cette plate-forme, sans y ajouter ou en retrancher une planche. » Cette ridicule profession de servilisme fut exploitée à bon droit par les adversaires de M. Buchanan, qui ne l’appelaient plus que James B. Plafform. C’est donc dans les doctrines du parti qui l’a adopté qu’il faudrait aller chercher des indications sur la politique de M. Buchanan ; mais en vérité les plus éner-