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prononcé qu’on ne pense. Prenez au hasard sur un steamer ou dans une rue dix hommes, et demandez à chacun ce qu’il est. Il sera capitaine, major, colonel, général, juge, esquire, docteur (Dieu sait de quoi); aucun ne sera un simple citoyen.

Les mœurs américaines à Brownsville n’occupaient pas toute mon attention. A côté des Yankees, il y avait là, je l’ai dit, une population mexicaine assez nombreuse. La plupart des Mexicains, même parmi ceux des villes, sont d’origine indienne ou indo-mexicaine. Ils sont de taille moyenne; leurs traits sont en général réguliers, quelquefois distingués et nobles, leurs yeux grands et vifs, leurs cheveux noirs, longs, touffus et durs, leur peau foncée, leurs dents très blanches, leurs mains et leurs pieds assez petits. Les principales passions du Mexicain sont les chevaux, le jeu et la danse. Les combats de taureaux et de coqs font leur joie. Parmi les toreadores amateurs se trouvent même des femmes, qui savent tuer le taureau avec grâce et hardiesse; j’en ai vu trois à Matamores qu’un nombre raisonnable de taureaux vaillamment renversés avait rendues presque célèbres.

Pour me faire une idée de la vie mexicaine, j’avais voulu visiter Matamores, ville située dans le Mexique, en face de Brownsville. Mon ministère pouvait un jour ou l’autre me créer des relations avec ses habitans, parmi lesquels se trouvent des négocians français. Matamores est peu éloigné du fleuve; quelques coups d’aviron vous transportent sur l’autre rive, où s’élève une baraque qui sert d’abri aux douaniers et à quelques soldats. Ces soldats, vêtus de brun, à figures rondes et sans barbe, ont l’aspect peu guerrier; ils dorment presque toute la journée sous un bosquet de palma-christi planté près de la baraque. Sur cet échantillon de l’armée mexicaine, je jugeai que les succès remportés par les Américains n’avaient rien de surprenant. Plusieurs voitures stationnaient en cet endroit; en quelques minutes, deux chevaux légers et fougueux nous firent franchir le kilomètre qui sépare la douane de la ville et nous arrêtèrent sur la Plaza-Mayor. Cette place est un carré parfait orné d’un jardin et entouré d’une double rangée de grands lilas de Chine qui sert de promenade. Les maisons sont d’une architecture simple, en briques rouges, à un seul étage orné d’un large balcon. Le toit est plat et forme une terrasse qui sert de séchoir plutôt qu’aux réunions de famille. Derrière les maisons s’étendent des jardins plus ou moins vastes où croissent les orangers, les grenadiers, les pêchers, les palmiers, les figuiers. Pendant le jour, tout semble désert, les magasins sont à demi fermés, chacun reste chez soi; mais aux premiers sons de l’Angelus, un peu avant le coucher du soleil, les fenêtres et les portes s’ouvrent, les rues se remplissent, les dames paraissent sur