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ce vaste rancho vit dans l’aisance. En ce moment, les hommes et les bestiaux prenaient le frais çà et là sous les arbres des chemins ou des cours.

Le lendemain, nous arrivâmes au rancho Davis, situé sur les bords du Rio-Grande, qui est à cet endroit large et profond. Le fleuve vient de recevoir le tribut de plusieurs rivières, le Rio de San-Juan, le Rio-Alamo, le Salado grossi lui-même par le Rio-Sabinas, qui descend des montagnes de la Sierra-Madre. Le rancho Davis est plus connu maintenant sous le nom de Rio-Grande-City; c’est un vaste assemblage de magasins américains et de cabanes mexicaines. La contrebande se pratique là sur la plus large échelle : le gouvernement mexicain ne peut entretenir beaucoup de soldats ni de douaniers, et les produits des États-Unis ont un écoulement très facile au Mexique; aussi les marchands américains du rancho Davis réalisent-ils d’énormes bénéfices.

Je partis seul pour me rendre à Roma, établissement américain situé plus au nord. Le chemin qui y mène serpente entre le Rio-Grande et une chaîne de collines qui va rejoindre les ramifications des Montagnes-Rocheuses. À cette latitude, les plaines du Texas occidental disparaissent; le terrain est accidenté, mais le caractère en est triste. Les mesquites, les arbousiers, les caroubiers et l’innombrable famille des cactus deviennent la seule parure de ces monticules pierreux et arides. Parfois on marche sur un roc blanc qui reflète les rayons du soleil et brûle les yeux. Si par hasard une plante essaie de pousser dans quelque sinuosité où se trouve un peu de bonne terre, le soleil ne tarde pas à la faire mourir sur pied. En revanche, quand il se rencontre un ravin, un filet d’eau, un terrain humide, la végétation déploie une vigueur et une richesse incomparables. Dans quelques-uns de ces ravins, j’ai vu de gigantesques polypodiums, aspleniums et autres espèces de fougères que les longues sécheresses rendent très rares au Texas. Un silence profond règne dans ce désert; c’est à peine si l’on entend parfois un chant d’oiseau, un rugissement de bête fauve. Le seul être vivant que je rencontrai me donna du moins un mouvement de joie : c’était, faut-il le dire? un serpent à sonnettes. Je n’en avais pas vu encore depuis mon retour; je me rappelai Castroville, et je suivis mon chemin tout rêveur.

Roma est peuplée de marchands juifs et de quelques Mexicains. C’est un pêle-mêle de cabanes de pierres et de bois, de huttes de roseaux et de boue, jetées çà et là sur un mamelon moitié nu, moitié boisé. Il n’y a pas trace de rue. De Roma je me rendis à l’Alamo et à Mier, accompagné du shérif de Roma, jeune homme aimable et cordial. La route, en montant sur les sommets des collines, ouvrit