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fin du repas, on fit circuler une dame-jeanne pleine de whiskey; pour le coup, je refusai et demandai de l’eau : j’avais une soif inextinguible. Après le dîner, on fit la sieste. A quatre heures, je partis avec mon guide, non sans avoir dit adieu à tous mes nouveaux parens, ce qui me prit un si long temps, que nous ne pûmes arriver que fort tard à Reynosa-Vieja. Tout le monde était couché; pourtant une parente de mon guide me prêta un matelas que j’étendis sur la grand’place. J’étais profondément endormi, quand à une heure du matin mon guide me secoua avec une obstination dont je ne pus triompher. Il me donnait mille raisons pour me convaincre de la nécessité de partir au milieu de la nuit, et m’obséda si bien, que je finis par me lever. Pour abréger la route, nous passâmes par un bois épais d’acacias. N’y voyant goutte, je me heurtais à chaque instant; les épines mettaient en sang mes mains et ma figure. Je me promettais bien de ne plus voyager de nuit, comme si le pauvre missionnaire pouvait choisir son temps, et comme s’il n’était pas obligé, quand le devoir l’appelle, de marcher sans se plaindre. Cependant l’aurore, en se levant, chassa tous mes ennuis. Une odeur pénétrante se répandit dans les bois; la vanille, le patchouli, le jasmin, l’ébénier et des milliers de lianes embaumées chargeaient de parfums la brise matinale. La voix bruyante des cardinaux, le roucoulement langoureux des tourterelles, le gémissement triste et doux de l’oiseau bleu, le chant de l’oiseau de paradis et du moqueur jetaient dans les airs un pêle-mêle charmant de notes éclatantes et plaintives. Une fine rosée répandait sur les feuilles des plantes et des arbres mille perles où la lumière se brisait en rayons brillans. Ce réveil de la nature portait dans mon âme un sentiment de bonheur indéfini et vague que je n’aurais échangé contre aucune joie du monde, et qui élevait ma pensée vers le ciel.

Je trouvai le curé de Reynosa en conférence avec un certain Antonio Rodriguez, renommé, ainsi que son frère, pour sa force herculéenne. On me raconta qu’un jour Antonio, pour prouver sa vigueur, prit une mule par les jambes de derrière, et que, malgré les cris et les coups de fouet des spectateurs, la bête ne put avancer d’un pas. La célébrité des deux frères servait à la police locale. Quand un cheval était perdu ou volé, on répandait le bruit que les deux Rodriguez étaient chargés de le retrouver, et l’animal rentrait bientôt à l’écurie.

Les quelques jours qui suivirent ne se passèrent pas sans accidens. Je ne pouvais trouver de cheval; les Mexicains fêtaient la Santiago; ils étaient dispersés avec leurs chevaux dans les ranchos les plus importans. Je ne découvris, après de longues recherches, que deux poneys, et je me décidai alors à me rendre chez un cer-