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billet qui l’engageait à se rendre à minuit, dans une maison qu’on indiquait, pour une affaire très grave et très importante. Le signataire du billet paraissait si bien informé, que ma mère résolut d’aller au rendez-vous. Elle n’osa pas avertir de cette démarche ses deux enfans ni sa négresse; mais la négresse, ayant remarqué la tristesse et la préoccupation qui s’étaient empreintes sur le visage de ma mère à la lecture de cette lettre, voulut en savoir la cause; n’osant lui faire de questions, elle attendit son départ pour prendre la lettre dans la poche de sa robe, et me pria de la lire tout haut. Le contenu n’avait rien d’extraordinaire; mais quand je lus l’adresse de la maison, la négresse s’écria : « Oh! maîtresse, il va peut-être arriver un grand malheur; votre mère a été dans une maison de vaudoux ! » Je partis aussitôt avec elle, nous trouvâmes la maison; elle était basse et n’avait qu’un rez-de-chaussée. La porte n’était pas fermée à clé; nous entrons. Hélas ! monsieur, ma mère était étendue sans connaissance sur le plancher au milieu d’un triple cercle de cendres noires. Une personne voilée et vêtue de noir sortit de la chambre par une porte de derrière. Que s’était-il passé? Je ne l’ai jamais su. Je pris ma mère entre mes bras, et, aidée de la négresse, la portai dans la rue. La fraîcheur de la nuit lui rendit l’usage de ses sens; mais elle était folle, elle n’a jamais recouvré sa raison. »

La secte des vaudoux, originaire d’Afrique selon toute apparence, est très répandue parmi les nègres des États-Unis et des Antilles. Quel est son but véritable? On n’a pu encore s’en rendre compte, mais ce qu’on sait bien, c’est que les vaudoux ont pour mobiles l’intérêt, la cupidité, la vengeance. Ils possèdent des secrets importans sur les propriétés de quelques plantes plus ou moins inconnues; ils font des parfums ou des poisons dont les effets sont très divers : les uns tuent lentement, d’autres comme la foudre; d’autres attaquent la raison à différens degrés ou la détruisent absolument. Ils connaissent aussi des antidotes particuliers. Beaucoup de créoles, de blancs, de gens de couleur, font partie de cette secte; quelques-uns même occupent dans la société d’assez hautes positions. Ce serait une curieuse étude[1] que de pénétrer le mystère dont s’entourent les vaudoux, mais il est aussi difficile que dangereux de se mêler de leurs affaires. Voici ce qu’on m’a affirmé touchant quelques-unes de leurs cérémonies, qui se célébraient souvent à Brownsville dans une maison isolée, entourée d’une barrière de planches, n’ayant qu’un étage très bas. Une grande chambre occupait la maison presque entière. Au fond, du côté du midi, s’élevait un autel recouvert de pièces

  1. Voyez, sur le culte vaudoux à Haïti, l’empereur Soulouque et son empire, par M. G. d’Alaux, dans la Revue du 15 décembre 1850.