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En fait d’arbres, je ne vis qu’un plaquemine (espèce de néflier) qui végétât dans ce chaos. Je voulus l’atteindre pour me reposer sous son ombre et me rafraîchir avec ses fruits noirs et doux. En grimpant le long d’un tapis de mousse, je fis rouler des pierres que la mousse recouvrait, et qui en roulant me montrèrent l’entrée d’une espèce de grotte profonde et basse. Je me décidai à y entrer. Au bout de vingt pas, je fus arrêté par un mur; je tâtai et reconnus que les pierres n’étaient pas cimentées : en moins de cinq minutes, elles furent à bas. Alors m’apparut une grande chambre très élevée, éclairée par une fente de rocher. Au fond se dressait un autel carré en pierres polies; celle de dessus était d’un seul bloc. Sur l’autel reposait un morceau d’or pur et massif; il était carré, long d’un pied sur chaque face et épais de deux pouces. Contre le mur, au-dessus de l’autel, grimaçait une figure affreuse faite d’une terre rouge et dure; le corps se cachait dans un faisceau de maïs où se trouvaient sept épis en or et beaucoup de feuilles en argent devenu noir. Près de la figure, on voyait un vêtement en plumes rouges, jaunes et bleues, dont la forme rappelait la chasuble de nos prêtres. Le premier ébahissement passé, je mis le morceau d’or dans mon mouchoir, les sept épis dans mes poches, et laissai les feuilles d’argent, qui étaient trop minces pour avoir grande valeur. Je refermai avec soin les deux entrées de la grotte et allai enterrer mon trésor dans un lieu écarté. J’en vendis une partie à Monterey, rachetai ma liberté, et fus à San-Luis-de-Potosi pour vendre le reste. Quoique les orfèvres m’aient volé, je crois, ils me donnèrent encore deux talègres d’or[1]. J’avais de quoi acheter un beau rancho, le faire cultiver et m’enrichir; mais j’aimais le jeu et les voyages, et ne pus rester tranquille. Après avoir envoyé à ma mère trois talègres d’argent, je fis l’acquisition d’un magnifique cheval avec une bride et une selle toutes couvertes d’argent, et je fis une excursion d’agrément à Mexico, à Puebla, à Guadalajara. Je jouais beaucoup partout où je passais, et fis si bien qu’au bout d’un an j’étais à peu près ruiné. L’idée me vint alors de faire une visite à ma mère. En traversant l’état de Zacatecas, je m’arrêtai à Saltillo, chez un de mes compères de baptême, Indien du côté de sa mère. Il était vieux et malade. Un jour il me prit à part et me dit : « Je veux vous confier un secret important qui n’est connu que de deux Indiens et de moi; comme il doit être le bénéfice d’un seul, aucun de nous n’en a fait usage, mais j’ai peur que les deux Indiens ne le divulguent à quelqu’un avant de mourir; je suis malade et sans enfans, je vous le confie. Vous comprenez quelles précautions il vous faudra prendre si vous voulez vous en servir; autrement vous

  1. La talègre d’or vaut seize mille piastres, celle d’argent en vaut mille.