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pas reçu de réponse. Je me rendis chez les consuls anglais et français, qui firent une démarche auprès du général Avalos. J’allai le voir moi-même. C’est un homme petit, gros, au teint olivâtre; sa barbe noire, ses yeux vifs et méchans lui donnent un air de férocité. Son père était Mexicain, sa mère Indienne; on voit que le sang du sauvage coule dans ses veines. Avec des manières polies, affables et parfaites, il est dur, faux, vindicatif. Comme il restait sourd à mes prières, je crus devoir lui rappeler un fait que je tenais de bonne source. « Je vais, lui dis-je, vous raconter une histoire. Une ville du Mexique fut attaquée par une bande d’aventuriers; le général, au commencement de l’action, fut blessé sur la grande place. On le porta chez lui; mais, craignant que les aventuriers, s’ils étaient vainqueurs, ne le prissent et ne le pendissent, il abandonna ses troupes et se fit transporter clandestinement dans une cabane éloignée. Un curé de ma connaissance apprit le fait. Il aurait pu révéler aux assiégeans la cachette du général; le général pris, la guerre était finie. Cependant, comme il y allait pour le général non-seulement de la mort, mais de l’honneur, le curé garda son secret. Si vous ne vous montrez pas aujourd’hui aussi clément que lui, il publiera demain ce récit dans les journaux. » Avalos pâlit, ses yeux lancèrent des éclairs sinistres; mais comme je ne tremblais pas, il me crut armé et répondit : «C’est bon; l’exécution sera suspendue jusqu’à ce que j’aie reçu des ordres de Mexico. »

Quand je portai cette bonne nouvelle aux prisonniers, ils m’embrassèrent avec transport, et l’espoir de vivre se réveilla en eux avec une vivacité qui m’inquiétait; je ne me sentais pas sûr du succès, et je rédigeai à la hâte, avec l’aide du curé de Matamoros, une pétition qui circula parmi les dames de la ville, et qui demandait au général Arista, président de la république, la vie des condamnés. Je voulus même profiter de ce sursis pour organiser une tentative d’évasion. Avec un peu d’argent, le projet pouvait s’exécuter; mais je ne trouvai parmi les compatriotes des prisonniers américains qu’inertie, imbécillité et menaces stupides contre Avalos. Sur ces entrefaites, le capitaine Nuñez, accusé par les Américains, pria secrètement Avalos, pour sauver sa vie, de le faire prisonnier, et vînt se faire incarcérer à Matamoros. Avalos, qui ne l’aimait pas, ne se contenta pas de le prendre; il le fit passer devant un conseil de guerre et condamner à mort. Le jour même, Nuñez se sauva et se réfugia à Brownsville, où sa condamnation, prononcée par des Mexicains, le réhabilita. Cette évasion de Nuñez m’ôta tout espoir d’assurer la fuite des condamnés; elle avait dû rendre la surveillance plus active et les précautions plus nombreuses.

Ordre arriva enfin de Mexico de fusiller les condamnés. C’était un samedi, et l’exécution fut fixée au lundi. Je n’avais pu sauver ces