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large : les lames se rompent sur leurs musoirs, s’étalent et s’amortissent dans les espaces intermédiaires, et la houle y est toujours supportable. Ces môles suppléent à l’insuffisance des quais; le couronnement en est large comme des rues; les navires s’y amarrent, et les marchandises peuvent y circuler. Ces constructions s’allongent quand les besoins du commerce le requièrent. Comme elles peuvent encore être poussées assez loin avant d’atteindre des profondeurs d’eau devant lesquelles il faudrait s’arrêter, il n’est pas probable que ce moyen économique d’agrandir le port de Trieste soit abandonné de si tôt. La première application du système des môles perpendiculaires n’est pas récente : portée sur le plan de 1771, elle appartient au règne de Charles VI ou à celui de Marie-Thérèse, et l’avantage en est aujourd’hui constaté par une épreuve d’une centaine d’années. Il est superflu de remarquer que ce qui est excellent sur la côte d’Istrie pourrait ne pas avoir partout ailleurs le même succès : un ouvrage à la mer n’est bon ou mauvais que par rapport aux circonstances locales dans lesquelles il est placé.

Quand les troupes françaises se sont retirées, en 1814, des provinces illyriennes, la population de Trieste était de 23,000 âmes. Au recensement de 1850, la ville et son territoire, c’est-à-dire la surface de 9,228 hectares qui, placée en dehors de la ligne des douanes, jouit de la franchise du port, comprenaient 76,953 habitans, presque tous agglomérés dans les quartiers voisins de la mer, où des salaires élevés retiennent tout ce qui vit d’un travail manuel. Cette circonstance ralentit le défrichement des terres en pente qui s’étendent près des portes de la ville, et qui sont réputées très propres à la culture de la vigne. Que la population de Trieste ait plus que triplé en trente-six ans, cela explique suffisamment l’air de jeunesse des constructions : hors du vieux quartier, tout est neuf dans la ville; ses larges rues tirées au cordeau sont magnifiquement pavées en dalles de calcaire jurassique, et les aspects de la mer et des montagnes, en donnant à chaque avenue une perspective différente, corrigent la monotonie de la régularité intérieure. Les villes des anciens l’emportaient de beaucoup sur les nôtres : la vie en commun y était le fond des mœurs, et l’architecture en reproduisait sous des formes multipliées les exigences : il n’y a parmi nous de lieu d’assemblée universelle que l’église; le peuple ne va ni au théâtre ni à la bourse. Les arts, dont les productions causent à l’esprit un plaisir mêlé d’admiration, n’ont point encore fait élection de domicile à Trieste, et, pour y goûter ce double sentiment, il faut aller sur le port, où l’œuvre de l’homme, complétant celle de la nature, donne à toute heure le spectacle le plus grandiose et le plus animé.

Dans l’affluence des navires qui s’amarrent aux quais de Trieste, il est impossible de n’en pas remarquer qui, signalés par un pavillon