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argumens contenaient pour Alighieri toute la charte sociale. Le roi Jean de Saxe, qui s’est appliqué, comme M. Ozanam, à montrer les rapports de Dante avec les grands docteurs scolastiques, a bien mieux compris que l’écrivain français l’enchaînement des idées politiques du poète : il signale avec raison le gibelinisme idéal d’Alighieri. Notons ce mot ; c’est la formule exacte des opinions du poète et le résumé de toutes ces controverses.

Cette rectification si importante, due principalement à la sagacité de M. Charles Witte, est-elle favorable ou nuisible à la gloire d’Alighieri ? Il est incontestable que le caractère du poète l’acquiert une grandeur nouvelle : Dante est justifié une fois pour toutes de l’accusation d’inconstance et de fureurs, intéressées qui pesait encore sur sa mémoire ; mais si la grandeur morale du poète est mise dans tout son jour, n’est-ce pas aux dépens de son intelligence politique et sociale ? En prêchant comme un dogme la soumission au saint-empire romain, n’était-il pas en lutte avec l’esprit de son siècle, qui était aussi l’esprit de l’avenir ? Cette vieille unité, dont le saint-empire était le symbole, n’était plus qu’un rêve évanoui. Les nations se constituaient partout comme des personnes distinctes, l’ère moderne s’annonçait ; ne faut-il pas avouer que Dante a méconnu ce travail de son époque ? C’est la conclusion de M. Wegele, bien qu’il n’en fasse pas un reproche au glorieux poète : « On voit souvent, dit-il, à la fin des grandes périodes de l’histoire, de puissantes intelligences s’attacher à l’esprit d’une société qui va mourir et s’efforcer de lui porter secours. Tel fut Dante. Il ne pouvait sauver le moyen âge ; mais il lui a élevé un monument colossal et tel que l’histoire n’en offre pas un second dans une situation analogue. » Thomas Carlyle a