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les vases chinois et les vases grecs.

neuf à dix ans qui fumait, mais non pas encore de l’opium. J’observais sa figure, singulièrement fine, où la ruse se mêlait à l’apathie ; la lumière qui se jouait sur les plans n’était que superficielle, parce qu’elle n’était point le reflet intérieur de l’intelligence : cependant c’était de la lumière. La délicatesse des traits, encore féminins, n’était point sans charme ; les yeux, relevés et bridés vers les angles, avaient quelque chose de caressant à la fois et de perfide ; le nez, court plutôt qu’aplati, empruntait à sa petitesse l’air spirituel qu’ont les satyres et les chèvres ; la peau, sans transparence, d’un ton égal et comme doré, avait les qualités harmonieuses que nous prisons tant sur les visages méridionaux. Enfin, d’après un échantillon mis sur mon chemin par le hasard, je croyais démêler les beautés que la race jaune peut offrir aux véritables artistes. Mais pourquoi parler de beautés ? Le grand art sait s’en passer, puisqu’il les crée : en imitant librement la nature, il lui imprime son sceau magnifique, qui est le style. Le style transforme les monstres eux-mêmes ; il les revêt d’une beauté qui lui est propre. Les Grecs l’ont admirablement prouvé : leur monde fantastique est un divin rêve, tandis que celui des Orientaux est le délire de la difformité. Je voudrais que M. Ingres peignît des Chinois. Alors seulement nous saurions de quel caractère leur laideur est susceptible, et jusqu’à quel point l’art peut les transfigurer.

Quant aux œuvres des Chinois eux-mêmes, elles dénotent par fois un mérite d’exactitude qui ne doit inspirer de jalousie qu’aux photographes. Leurs portraits tant vantés, où les détails du visage sont rendus avec un scrupule inintelligent, où les rides et les poils de la barbe sont comptés au pinceau, où la ressemblance est d’une minutie qui fait rire, quand elle ne dégoûte pas, ce n’est pas de l’art, c’est de l’industrie. La pensée est étrangère à ces tours de force : la main en a tout l’honneur. En vain j’entends de bons juges s’extasier, je ne puis voir là que le chef-d’œuvre d’un artisan, chef-d’œuvre à la façon du moyen âge, dont la naïveté seule nous touche, et qui n’atteste d’autre génie que celui de la patience.

Quelles que soient la fécondité et la souplesse de l’esprit chinois, il manque d’élévation ; il ne ressemble en rien à l’intelligence supérieure qui anime les sociétés fondées par la race indo-européenne. Un peuple qui ignore les inspirations fières du spiritualisme, le sentiment de l’infini, l’amour de la beauté qui se poursuit toujours, ne saurait atteindre à une grandeur véritable ni dans les lettres ni dans les arts. Uniquement appliqués à la pratique de la vie, les Chinois ne sortent point du cercle étroit de l’expérience ; leur âme n’a pour horizon que l’utile, les jouissances matérielles, les caprices stériles de la fantaisie, de même que le maintien du passé fait toute leur sagesse, et le culte des ancêtres toute leur religion. Aussi l’art n’est-il