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n’en point sortir. » Nous avons la conviction que M. Botts n’aurait pas été seul de son avis, le jour où l’on aurait sérieusement proposé aux hommes du sud de déchirer la constitution. Le nord n’a jamais fait entendre de menaces de séparation : au jour fatal, il acceptera la lutte et la soutiendra avec une indomptable énergie, mais il n’en prendra jamais l’initiative. L’élection de M. Buchanan, en rassurant et en apaisant les hommes du sud, sera donc le signal d’une trêve momentanée ; mais il est essentiel de mettre à profit la durée de cette trêve, si l’on ne veut voir l’agitation renaître plus violente et plus terrible.

Le nouvel élu sera-t-il l’instrument docile des passions du sud, comme l’annonçaient ses adversaires, comme sa participation aux fameuses conférences d’Ostende et la servilité avec laquelle il a accepté le programme de Cincinnati autoriseraient à le croire ? Le verra-t-on annexer à l’Union et transformer en états à esclaves toutes les républiques de l’Amérique centrale, se faire partout l’allié des flibustiers, mettre violemment la main sur Cuba, et lancer la politique américaine dans les aventures ? Nous ne le pensons pas. Autant vaudrait le rendre responsable de toutes les sornettes qu’ont débitées les journaux qui soutenaient sa candidature. Que certaines feuilles de l’Alabama, de la Louisiane, même de la Virginie, demandent le rétablissement de la traite des nègres, soutiennent que l’esclavage des noirs est la condition indispensable de la liberté des blancs, et appellent de leurs vœux le jour où les états du nord rétabliront la servitude ; qu’un sénateur de la Louisiane, M. Downs, propose, pour remédier au paupérisme, de réduire en esclavage tous les blancs qui n’ont pas de moyens d’existence assurés : on ne doit voir dans ces déclamations folles que des aberrations individuelles, ou des outrages gratuits au bon sens, dictés par l’emportement de la passion ; il serait injuste d’y vouloir trouver le programme du parti démocratique. C’est la honte de la société américaine que de pareilles opinions puissent s’y manifester sans attirer à ceux qui les professent le mépris universel ; mais ne faisons pas à une nation civilisée l’injure de croire que de telles idées rencontrent des hommes d’état disposés à les appliquer.

M. Buchanan a débuté dans la vie politique, il y a déjà quarante-quatre ans ; il a pris part plusieurs fois au gouvernement, il a exercé les fonctions les plus importantes et s’y est fait une réputation de talent et d’habileté. Comme presque tous les hommes politiques de son pays, il a fait de nombreux sacrifices à l’esprit de parti, et il a donné mainte preuve de cette flexibilité excessive sans laquelle il est impossible de réussir sous le despotisme de la foule comme sous le despotisme d’un seul. Ce qu’on ne peut lui refuser, c’est de l’expérience,