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vent le nom de philosophie, à revendiquer la part de l’influence religieuse dans l’enseignement, ils eussent été à coup sûr dans la limite de leur droit et de leur devoir ; mais, une fois dans cette voie, ils sont allés plus loin : ils ont frappé de leurs censures tout ce qui ne relevait point du dogme, ils ont mis en suspicion toutes les libertés proclamées par la constitution belge. C’était une première faute ; il savaient en outre un côté faible : le clergé possédant des établissemens d’instruction publique, les évêques pouvaient être soupçonnés et ils ont été accusés en effet de mêler à leurs vues religieuses d’autres vues de concurrence. Quoi qu’il en soit, une occasion se présentait de répondre à ces manifestations : c’était l’ouverture de l’université libre de Bruxelles, et M. Vechaegen, dans son discours d’inauguration, lançait, lui aussi, son mandement, en plaidant la cause de la liberté illimitée de la science et du professorat. Entre ces tendances extrêmes, le gouvernement prenait une position mixte. Le ministre de l’intérieur, M. de Decker, adressait aux recteurs des universités de Gand et de Liège une circulaire où il repoussait l’idée de limiter la science et la liberté de l’enseignement, mais où il prescrivait en même temps aux professeurs de s’abstenir de toute attaque directe contre le principe des cultes pratiqués en Belgique. Il en était ainsi lorsque la session s’est ouverte. Le sénat a commencé par sanctionner dans son adresse les principes de la circulaire du ministre de l’intérieur. La chambre des représentans elle-même, après une longue discussion, vient de donner raison aux mêmes principes, exprimés, sous une forme différente. Du reste, on ne peut méconnaître que M. de Decker se trouvait dans une position difficile : il avait à essuyer les critiques d’une fraction de son parti qui l’accusait de trahison envers l’église, et les attaques des partisans de la liberté illimitée, qui l’accusaient de livrer la science. M. de Decker n’a pas moisis soutenu énergiquement cette lutte, et c’est avec une réelle éloquence qu’il a fait prévaloir les idées de modération et de justice, les seules qui soient bonnes à régler l’existence des peuples.

La vie actuelle du Piémont, quoique agitée de peu d’incidens, se montre sous un double aspect. Diplomatiquement, on peut voir aussi à Turin quelques-unes des nuances du travail qui a suivi la signature de la dernière paix, quelques-unes des conséquences des perturbations récentes de la politique générale. Le Piémont lui-même, on l’a vu, a reçu quelques éclaboussures des polémiques des journaux anglais. Est-ce le signe d’un refroidissement de l’alliance entre l’Angleterre et la Sardaigne ? Il n’en est point ainsi sans doute. Seulement, tandis que l’Angleterre se rapprochait de l’Autriche, le Piémont se rapprochait bien plus encore que la France, et pour des causes spéciales, de la Russie. Aux yeux de certains hommes d’état piémontais une alliance avec l’empire russe est en effet une des premières combinaisons de politique extérieure pour leur pays. La Russie n’est point voisine du Piémont, mais elle est voisine de l’Autriche, qu’elle peut tenir en respect au nord, tandis que le Piémont est son antagoniste au midi. L’attitude hautaine de l’empereur Nicolas après 1848 avait interrompu les rapports entre les deux pays ; la paix les a renoués. Le lien particulier aujourd’hui, c’est l’esprit commun d’hostilité contre l’Autriche. De là les échanges de témoignages d’amitié et l’accueil plein de courtoisie que l’impératrice-mère de Russie a reçu du roi Victor-Emmanuel sur le sol piémontais, où elle