Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réside en ce moment. Il n’en fallait pas plus pour éveiller les susceptibilités des journaux anglais, et le cabinet de Londres a paru même un instant ne pas vouloir admettre les plénipotentiaires sardes dans les conférences nouvelles qui pourront s’ouvrir, craignant sans doute de trouver en eux des auxiliaires de la Russie. Il y a pour le Piémont une autre question de politique extérieure qui est sur le point de se régler, c’est l’affaire des séquestres. L’Autriche semble disposée aujourd’hui à lever le séquestre qu’elle avait mis sur les biens des émigrés lombards, et ce sera un élément de trouble de moins dans les relations des deux états toujours prêts à se heurter en Italie. Quant à la politique intérieure du Piémont, en attendant l’ouverture de la session législative, qui aura lieu dans un mois, elle se résume dans un incident tout personnel en apparence et d’une certaine signification néanmoins. Un homme mêlé à la vie politique, écrivain et député, autrefois ami de M. Mazzini et rattaché depuis à la monarchie de Savoie et au ministère actuel, M. Antonio Gallenga, a écrit, il y a quelque temps, une histoire du Piémont. M. Gallenga ne se montre point absolument favorable à la secte de la Jeune-Italie ; il raconte notamment un fait qui date de plus de vingt ans déjà. À cette époque, un jeune homme du nom de Marioti, muni d’un poignard reçu des mains du chef de la Jeune-Italie, serait arrivé un jour à Turin avec le dessein arrêté de tuer le roi Charles-Albert. Le régicide fut pris de défaillance, ou il ne trouva pas dans ses amis l’appui qu’il attendait, et l’entreprise manqua. M. Mazzini, peu satisfait sans doute de la manière d’écrire l’histoire de son ancien disciple, a publié une lettre, non pour réprouver, on le conçoit, la pensée de l’attentat, mais pour raconter que le fait était d’autant plus exact que Marioti et M. Gallenga n’étaient qu’une seule et même personne. M. Gallenga lui-même a confessé cette identité. La révélation d’un tel fait a produit une singulière sensation. Il en est résulté que M. Gallenga a été obligé de donner sa démission de député, de remettre entre les mains du roi la croix de Saint-Maurice et Saint-Lazare qu’il avait reçue, et de se retirer de la vie politique. Des récriminations de toute sorte ont été échangées, les polémiques se sont multipliées, d’autres personnes ont vu leur nom mêlé à cette ténébreuse affaire. L’incident est passé aujourd’hui, M. Gallenga expie par une retraite volontaire la funeste pensée de sa jeunesse ; mais le fait le plus caractéristique peut-être, comme symptôme des mœurs politiques du Piémont, c’est la répulsion profonde qu’a provoquée la révélation de cette ancienne tentative. Qu’on le remarque bien, ce n’est point devant la polémique des journaux que M. Gallenga a dû se retirer ; les journaux n’ont fait que céder à l’irrésistible pression de l’opinion, d’autant plus soulevée que les partisans de M. Mazzini saisissaient cette occasion de multiplier leurs théories et leurs justifications de l’assassinat politique. Cette puissance de l’opinion régulière et saine est d’un favorable augure, et c’est en s’appuyant sur ce sentiment, sur cette base d’une vigoureuse honnêteté publique, que les hommes politiques du Piémont peuvent arriver à fortifier, à affermir le régime d’une monarchie constitutionnelle sensée.

Voilà donc deux pays, la Belgique et le Piémont, où un sentiment d’énergique modération se fait jour sous diverses formes et dans des circonstances différentes. En est-il de même au-delà des Pyrénées ? L’Espagne reste