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poursuites spéciales. Cependant un grand nombre de ces malfaiteurs étaient tombés entre les mains de l’autorité anglaise, et plusieurs d’entre eux avaient racheté leur vie en dénonçant leurs crimes et ceux de leurs associés. Parmi ces révélateurs, il faut compter en première ligne le chef Feringhea, que le caprice d’un romancier a fait connaître au public parisien, brigand de chair et d’os, dont le nom cependant mérite de rester illustre dans les fastes du crime, et qui, ayant pris part à sept cent soixante-dix-neuf meurtres, disait avec une fierté mêlée de regret à un magistrat anglais : « Ah ! seigneur, n’eussé-je pas passé douze ans de ma vie en prison, avec la protection de Bowhanee, j’aurais sans doute achevé mille meurtres ! »

Ces confessions monstrueuses étaient dénuées de forfanterie ; des preuves irrécusables en attestaient la sincérité. Sous les pas des thugs révélateurs, la terre, comme sous l’influence d’un pouvoir mystérieux et terrible, s’entr’ouvrit pour vomir des cadavres. Dans tous les districts de l’Inde, du nord au sud, de l’est à l’ouest, sur les indications données par les prisonniers, on ouvrit des bheels comblés d’ossemens humains, qui attestaient les forfaits et la puissance des sectaires de Bowhanee. Heureusement un homme d’une volonté énergique, ami sincère de l’humanité, lord William Bentinck ; se trouvait alors à la tête du gouvernement de la compagnie. Il comprit bien vite que la vigilance de la police ordinaire serait impuissante à extirper du sol le fléau enraciné du thuggisme. Sous son inspiration, une magistrature spéciale, composée d’officiers actifs et intelligens, fut chargée de poursuivre la secte meurtrière sans relâche et sans pitié dans toute l’étendue du domaine indien. Les ramifications immenses de l’association, le nombre considérable de complices compris dans chaque attentat, présentaient de faciles moyens d’information qui furent habilement mis à profit. Des actes d’une clémence judicieuse attachèrent au service de la police anglaise des thugs sous le coup d’une sentence capitale, initiés à toutes les pratiques, à toutes les ressources, à tous les crimes de l’ordre, et la répression commença avec une énergie qui promettait le succès. Nous croyons donner une idée exacte des ravages des thugs et des travaux de la magistrature spéciale instituée par lord William Bentinck en empruntant aux documens officiels les chiffres suivans. Pendant l’année 1830, l’autorité anglaise réunit les preuves matérielles de 243 meurtres commis par les thugs ; ce chiffre s’élevait à 215 en 1831, et à 203 en 1832 ! Mais un juste châtiment devait atteindre les auteurs de tant de forfaits, car 3,266 thugs en 1837 avaient été livrés à la justice. Sur ce nombre, 412 furent pendus, 1,059 transportés à Penang, les autres con damnés à la prison ou attachés au service de la police anglaise. Les habiles et rigoureuses mesures prises par lord William Bentinck furent continuées avec persévérance sous ses successeurs. La suppression