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à quelque divinité impure de l’olympe de Wishnou. Un règlement récent a mis fin à ces scandaleuses démonstrations dont les thugs condamnés à mort avaient pris soin surtout d’entourer leurs derniers momens. Si les superstitions natives peuvent adoucir pour le condamné les angoisses de la peine capitale, elles lui rendent beaucoup plus pénible celle de la transportation, qui est subie dans les établissemens de Penang, Moulmeïn et Singapour. Le fait d’un voyage sur mer étant suffisant pour priver de sa caste non-seulement le voyageur, mais encore toute sa famille, la puissance de préjugés puérils concourt en cette occasion à augmenter la sévérité du châtiment légal.

La peine de la prison, qui vient en troisième ordre sur la liste des moyens de répression dont disposent les tribunaux de l’Inde, est subie dans des maisons centrales établies aux chefs-lieux des districts, et les prisonniers sont astreints à travailler, soit, en dehors de l’enceinte de la prison, à l’entretien des routes ou autres ouvrages d’utilité publique, soit, à l’intérieur, aux divers métiers qu’ils peuvent connaître. Le plan de construction et la discipline intérieure étant à peu près les mêmes dans toutes les prisons de l’Inde, on aura une idée assez complète du système pénitentiaire en usage dans les domaines de l’honorable compagnie, en nous suivant dans la geôle d’Alipore, située près de Calcutta.

Qu’on se figure un vaste bâtiment rectangulaire, aux toits en terrasse, dominé aux quatre coins par de petites tours sur lesquelles veillent des sentinelles. À la porte extérieure de la prison, le magistrat qui veut bien m’en faire les honneurs m’offre en signe de bienvenue un revolver et un gros bâton. Ainsi équipés, nous franchissons l’enceinte du sombre lieu, sous la garde de six policemen en turban rouge, le cimeterre à l’épaule. Devant nous s’étend une grande cour au milieu de laquelle est creusé un vaste bassin tout rempli de poissons. De chaque côté de la cour s’élèvent les bâtiment à un étage, qui servent de logemens aux prisonniers. Ce sont de grandes salles qui ouvrent sur la cour par de hautes fenêtres grillées, et qui offrent une assez grande ressemblance avec les habitations réservées dans les jardins zoologiques aux célébrités du règne animal. Des nattes roulées, quelques coffres, composent tout le mobilier de ces salles, où règne d’ailleurs la plus minutieuse propreté. Les condamnés sont au travail, et réunis dans divers ateliers qui forment l’enceinte extérieure de la prison. Ici l’on émonde le riz, ou l’on moud le grain qui sert à la nourriture des prisonniers. la travaillent des menuisiers, des serruriers, des tisserands, des selliers, des cordiers ; plus loin sont des moulins à huile dont les détenus tournent les meules ; voici enfin une papeterie où l’on fabrique le papier grossier employé par