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grands stores, n’a rien que de doucement souriant. Cette habitation transparente ressemble aux verres aériens destinés aux vins blonds et légers. Ainsi a pensé lord Hugues Claresford en la parcourant pour la première fois, et il s’est dit : « Puisse Dieu m’y verser au moins quelques jours la vie oublieuse et facile dont je suis altéré ! »


II

Lord Hugues avait pour voisin ce prince Alexandre Strezza dont Bucharest gardera longtemps le souvenir. Bucharest, à coup sûr, est la ville du monde où la grande divinité païenne qu’aucun culte n’a pu anéantir, où Vénus est adorée avec le plus d’emportement, et parmi les adorateurs de la toute-puissante déesse, nul n’était plus convaincu, plus fervent, plus absolu dans sa dévotion que le prince Strezza. Aussi jouissait-il de ce bien précieux, — que, malgré une intelligence assez développée et assez fine, et qui aurait pu comme toute autre avoir ses inquiétudes, la vie ne lui offrait aucun problème à résoudre. En tout lieu où se rencontrait une femme que pussent poursuivre et atteindre ses désirs, il avait trouvé le seul but qu’il se fût jamais proposé. Malheureusement le pauvre Strezza, par une cruelle ironie du sort, était depuis quelques années fort dépourvu de la qualité qu’exigent le plus impérieusement les religions antiques. Cette compagne indispensable du plaisir, la santé, l’avait abandonné. Elle s’était enfuie aussi cruellement, que dis-je, ? bien plus cruellement encore qu’a jamais pu le faire, madame, la plus vaporeuse de vos illusions. Strezza était lentement consumé par une maladie de poitrine dont il demandait en vain à tous les cieux gais et bienfaisans de le débarrasser. Cet affreux mal ne changeait rien à son humeur. Aucune des pensées qui descendent dans une âme chrétienne avec les ombres de la mort ne pénétrait dans cette nature, où régnait plus que jamais la loi des sens. Quel homme horrible ! me dites-vous. Certes je ne voudrais pas lui ressembler en tout point, mais je vous assure qu’il n’était pas trop horrible pourtant. C’était d’abord un garçon de la plus aimable figure. Il avait à la fois du Grec et du Slave. Ses traits, réguliers comme ceux d’une statue, étaient éclairés par un regard que la rêverie du Nord, cette pâle et lumineuse rêverie, animait de son mystérieux éclat. Puis il avait de l’esprit et beaucoup, de l’esprit français, ou du moins de ce qu’on appelle ainsi, à juste titre, je le crois.

Dans l’ensemble même de la vie, Claresford s’est soustrait et se soustraira toujours à toute domination, mais nul ne subit plus complètement que lui mille influences passagères dans les phases successives de son existence. Que demain il se prenne de goût pour