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grand et sage Germanicus, il avait été élevé par la vertueuse Agrippine : ses commencemens ne furent pas entièrement mauvais ; mais, jeune, il se trouva en possession d’une autorité sans bornes, et il en perdit l’esprit.

Caligula débuta par l’hypocrisie, jusqu’à lui début obligé de l’empire. Pour se faire adopter par Tibère, il s’appliqua aux lettres, que Tibère aimait, et y réussit. Bien que détestant son prédécesseur, qui avait voulu le déshériter, il prononça son éloge funèbre en pleurant. Il montra pour la mémoire de sa mère Agrippine et de ses deux frères une piété inspirée probablement par sa rancune contre Tibère, qui les avait persécutés et avait voulu l’exclure lui-même. Monté sur le trône, il affecta d’abord, comme avaient fait Auguste et Tibère, une déférence hypocrite pour le sénat, dont il se disait l’élève et le nourrisson, prodigua des largesses aux soldats et à la plèbe romaine, qui l’appelait son poulet et son poupon, si bien que le trésor ne tarda pas à être épuisé, et c’est alors que pour le remplir il eut recours à toutes les violences. Il adopta surtout le moyen le plus expéditif qui fût à sa disposition : il fit mourir tous ceux dont il voulait hériter. Bientôt il donna au monde le spectacle d’un tyran fantasque, ne souffrant jamais la liberté et ne permettant pas toujours l’adulation. Lui aussi, comme Tibère, se contraignit d’abord et se masqua ; puis, las de feindre, il se mit à l’aise et fut franchement un monstre.

Les traits de Caligula étaient réguliers et beaux ; mais tous ses portraits leur donnent une expression violente et sinistre, image vraie de cette âme cruelle et troublée. On reconnaît le frons lata et torva, le front large et sombre dont parle Suétone ; on lit sur son visage le natura sœva et probrosa du même auteur et le turbatamens de Tacite. D’ailleurs nous savons qu’il s’étudiait à donner à ses traits une expression farouche. Nulle part cette expression n’est plus frappante que dans un buste en basalte du Capitole. Cette pierre noire et durcie par la flamme convenait merveilleusement pour rendre la dureté implacable, l’ardente férocité et la noirceur de l’âme de Caligula. Une statue du Vatican montre le successeur de Tibère la tête un peu penchée et jetant de côté un regard menaçant et triste. Il avait cet air-là le jour où, mécontent de la populace du cirque qui n’applaudissait pas à son gré, il s’écria : « Plût au ciel que le peuple romain n’eût qu’un seul cou ! » — et non pas une seule tête, comme on traduit communément. — Ses statues seraient plus ressemblantes, si elles le représentaient dans les costumes honteux et insensés dont il aimait à se revêtir, portant des robes à manches et des bracelets, ou bien déguisé en dieu, en Jupiter, en Neptune, en Mercure, quelquefois en Vénus. Il faudrait, pour achever le portrait de ses folies, que nous eussions cette image de Caligula