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des paroles dignes d’un Romain à ces Romains dégénérés : « Parce que vous voulez tout asservir, croyez-vous que personne ne veuille être libre ? » La hauteur de l’âme a passé de Rome chez les peuples que Rome méprise, et les paroles du petit roi de Bretagne semblent annoncer au monde que son île doit être un jour l’asile des sentimens de liberté morts avec la république romaine, et qui, je persiste à le croire, ne mourront pas en Angleterre.

Mais n’anticipons pas sur l’avenir, et arrivons, comme toujours, à l’histoire par les monumens. Le premier soin de Claude fut d’effacer Caligula. Il fit disparaître toutes les statues de l’odieux empereur en une nuit ; sa timidité choisit l’heure de cette exécution, et probablement il ne mit pas beaucoup de fermeté, la fermeté n’était point sa qualité dominante, à se faire obéir, car les statues et les bustes de Caligula ne sont pas rares. Claude répara l’aqueduc de l’eau virgo, interrompu et mutilé pour faire place à l’amphithéâtre en bois de Caligula. On ne saurait douter qu’il n’ait chassé de ses deux temples les images que cet insensé s’y était fait élever, et qu’il adorait lui-même ; mais les temples ne furent point détruits, car ils existaient au temps de l’abréviateur Zonaras.

Plus pieux envers les siens que le fils de Livie ne l’avait été pour Auguste, Claude fit terminer un arc de triomphe érigé à Tibère près du théâtre de Pompée. Cependant il n’avait pas beaucoup à se louer de Tibère, qui l’avait toujours traité avec le dernier mépris. Il ré para le théâtre de Pompée, qui avait brûlé encore une fois. Les incendies jouent un grand rôle dans l’histoire des monumens de l’ancienne Rome. Il n’est presque pas un seul de ces monumens qui n’en ait éprouvé plusieurs, malgré les vigiles établis par Auguste, et quoique les Romains aient connu la pompe à incendie.

Cet empereur de rencontre s’annonçait encore mieux que les deux empereurs qui l’avaient précédé, et il devait surtout moins démentir ces heureux commencemens. Il publia sagement une amnistie pour tout ce qui s’était passé pendant les deux jours d’interrègne, et fit si bien qu’au bout de peu de temps le peuple l’adorait. Le souvenir de Caligula n’était pas fait pour rendre difficile à l’endroit de son successeur. Claude devint bien vite si populaire, que, le bruit de sa mort s’étant répandu, ce fut à Rome une consternation générale. Le peuple accablait d’imprécations et de menaces le sénat et l’armée, qu’il croyait avoir attenté aux jours de Claude, et il fallut pour le calmer que plusieurs magistrats vinssent dans la tribune aux harangues assurer que l’empereur était vivant. Caligula lui-même avait d’abord joui de la même faveur. Quand il était malade, le palais était entouré de gens qui faisaient vœu de donner leur vie pour sauver la sienne. C’est une triste chose, et qui inspire une profonde compassion