Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/856

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Victor, il n’est presque plus question des bonnes qualités que Suétone reconnaît à Claude et des grandes choses qu’il lui attribue ; Claude n’est plus qu’un Sganarelle gourmand et poltron. On a peut-être exagéré les débordemens de Messaline, au moins dans quelques détails, Juvénal seul représente l’impératrice courant la nuit les rues de Rome pour aller chercher dans des bouges hideux des amours d’une heure. Suétone ne dit rien de pareil. Messaline prenait ses amans plus près d’elle, parmi les jeunes patriciens de sa cour. Ce qui a pu donner lieu à ces invraisemblables récits, c’est qu’un lupanar avait été établi par Caligula dans le palais impérial lui-même, à l’usage des grandes dames romaines. Celui-là, Messaline peut l’avoir fréquenté.

Le dénouement tragique de l’audacieuse comédie du mariage de Messaline et de Silius contracté publiquement à Rome pendant que l’empereur était à Ostie, ce dénouement eut pour théâtre les jardins qui avaient appartenu à Lucullus et où est aujourd’hui la villa Médicis. C’est dans ce lieu charmant, promenade ouverte aux oisifs de Rome, et dont les bosquets toujours verts abritent les ateliers des jeunes pensionnaires de l’Académie de France, que se termina par une scène terrible le drame impur de la vie de Messaline. Il y avait là une juste rétribution du ciel. Pour posséder ces beaux jardins qu’elle convoitait, Messaline avait obtenu de la faiblesse de Claude la mort de celui auquel ils appartenaient alors, ce voluptueux Valérius Asiaticus, qui montra dans ses derniers momens ce qu’on pourrait appeler la sublimité de l’épicuréisme, quand il fit déplacer le bûcher déjà préparé, pour que la fumée du feu qui allait brûler son cadavre ne gâtât pas ses beaux arbres. Ce lieu de délices devait voir les derniers momens de celle qui l’avait acquis par un crime. J’y ramènerai le lecteur pour le faire assister à ce châtiment mérité ; mais il faut qu’il me suive d’abord sur le Palatin, où dans la demeure impériale Messaline s’abandonne à la joie de son adultère insolent solennisé à la face du ciel. Le récit admirable et détaillé de Tacite va nous guider.

C’était l’automne. Messaline célébrait la saison de Bacchus, faisait l’octobre, comme on dit à Rome, où, vers cette époque de l’année, ont encore lieu de véritables bacchanales. « L’on foulait la vendange, le vin ruisselait dans les cuves ; des femmes vêtues de peaux de bêtes, comme les ménades, bondissaient en l’honneur du dieu. Messaline elle-même, les cheveux dénoués, secouait un thyrse ; Silius, couronné de lierre et chaussé du cothurne, balançait la tête au chant lascif du chœur bruyant. Vettius Valens étant, dit-on, monté par jeu au sommet d’un arbre, on lui cria : Que vois-tu ? Il répondit : Une tempête qui vient d’Ostie. »