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cette simplicité sublime se corrompt alors de deux manières : par la recherche et par l’emphase. La première domine chez Sénèque, et la seconde chez Lucain, ce qui n’exclut pas toujours, chez le second surtout, une véritable élévation de pensée. Lucain, qui avait eu le malheur, au commencement de sa Pharsale, de prodiguer des louanges hyperboliques à Néron, peut-être pour faire passer les fiers sentimens de liberté si noblement exprimés dans son poème, Lucain racheta du moins cet instant de faiblesse en tentant, au prix de sa vie, de délivrer Rome de Néron. Un des principaux conjurés était Plautius. Lateranus, dont la brillante demeure s’élevait à l’extrémité orientale du mont Cœlius, et a donné son nom à la basilique de Saint-Jean de Latran, construite dans le voisinage du palais des Laterani. Le nom de Plautius Lateranus se rattache à un autre monument, le tombeau de la famille Plautia, qui se présente d’une manière si pittoresque au voyageur allant de Rome à Tivoli, près du ponte Lucano. Le pont et le tombeau ont fourni au Poussin le sujet d’un tableau de la galerie Doria. On a trouvé dans ce tombeau les noms de plusieurs personnages de la famille Plautia, dont l’un figure dans la foule des amans de Messaline, mais non celui de Plautius Lateranus. L’acte qui recommande son nom à la postérité l’a fait effacer dans la sépulture de sa famille.

Un autre poète du temps de Néron a, comme Lucain, cette énergie qui sent l’effort. C’est Perse, formé aussi à l’école du stoïcisme. L’effort est naturel aux écrivains qui, dans une époque abaissée, conservent quelque vigueur morale. Les âmes qui résistent alors ne peuvent le faire qu’en se raidissant avec violence. De là ce langage tendu qui se rencontre chez Perse comme chez Lucain. Le premier à de plus pour caractère propre l’obscurité qu’introduisent nécessairement dans le style les ombrages de la tyrannie. Perse, mort jeune, après avoir attaqué avec violence un temps corrompu, offre quelque ressemblance avec notre Gilbert, sauf les injustices de ce lui-ci. Une tête en bas-relief, qu’on voit à la villa Albani, est donnée comme un portrait de Perse ; mais M. Braun fait remarquer avec raison que la barbe est du temps d’Adrien. La poésie de l’âge de Néron a quelque chose de pompeux et de retentissant qui lui est propre, et qu’on trouve dans les vers du voluptueux Pétrone comme de l’austère Lucain. Tout était alors à la magnificence. C’était le temps des embellissemens de Rome et des pompes splendides de la Maison-Dorée.

L’art avait plus que les lettres conservé sa pureté. L’architecture surtout, le plus vivace et le plus tenace des arts, celui qui reproduit le plus longtemps les beaux types, peut-être parce que ces types peuvent être reproduits, pour ainsi dire, mathématiquement,