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Les constructions projetées par Néron attestent une ambition insensée de grandeur. Il voulait que Rome s’étendît jusqu’à Ostie, et que la mer vînt jusqu’à Rome, en tous ces projets tourmenté par le besoin de se prouver à lui-même et de prouver aux autres sa toute-puissance. Du reste, Néron avait la rage de bâtir, comme Auguste, et aussi comme Domitien et Caracalla. Ce fut la cause principale de l’épuisement du trésor public : non in alia re damnosior quam in œdificando, selon Suétone. Il bâtit surtout pour lui-même : s’il construisit un aqueduc, ce fut afin d’amener l’eau à son palais, d’alimenter les pièces d’eau de la Maison-Dorée. Néron n’oublia pas non plus de construire des lieux de divertissemens pour cette multitude dont le cocher du cirque, le chanteur et le danseur du théâtre sollicitait et parfois obtenait les applaudissemens. Il avait bâti des thermes magnifiques, à en juger par cette épigramme de Martial :

Quid Nerone pejùs ?
Quid thermis melius neronianis ?

« Qu’y a-t-il de pire que Néron ? — Qu’y a-t-il de supérieur aux thermes de Néron ? »

Le nom de l’église de San-Salvalor in Thermis montre que ces thermes, dont il ne reste que des vestiges, existaient encore au moyen âge. Par un singulier hasard, sur l’emplacement des thermes de Néron, qui se confondirent plus tard avec ceux d’Alexandre Sévère, a été bâtie l’église de Saint-Louis des Français. Il était donc dans la destinée de ce lieu, d’abord marqué d’un nom néfaste, que deux fois le souvenir d’un bon prince vînt remplacer et expier pour ainsi dire le souvenir d’un scélérat.

Auguste et Tibère, devenus empereurs, avaient peu fait la guerre. Caligula avait singé des batailles et des triomphes, Claude avait paru en Bretagne, Néron eut la pensée de prendre part à une expédition contre les Parthes ; mais il réprima ce désir. On lui vota des arcs de triomphe à l’occasion des triomphes de Corbulon en Arménie, et on lui en dressa un sur le Capitule, ce qui était sans exemple. Cet honneur exceptionnel devait être décerné à celui qui n’avait jamais triomphé. Je me trompe, après avoir fini sa tournée d’acteur ambulant en Grèce, pendant laquelle il avait fait mettre à mort son meilleur général, il revint triompher à Rome. Un pan de muraille fut abattu devant les pas du ridicule vainqueur. On vit paraître d’abord ceux qui portaient les couronnes décernées à Néron, d’autres tenaient des piques, auxquelles étaient attachés des écriteaux indiquant les noms des concours où il avait eu le prix du chant. Puis venait Néron sur un char triomphal, vêtu d’une robe de pourpre brodée d’or, couronné de feuilles d’olivier et le laurier pythique à