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Newton même fut compromis, et Flamsteed ne manqua pas de l’accuser. L’aventure resta longtemps mystérieuse ; elle finit par l’exécution de Chaloner lui-même, qui avait été nommé vérificateur, et Newton garda sa place. Des recherches récentes, autorisées et présidées par lord Brougham, des découvertes faites au British Muséum par le savant bibliothécaire M. Panizzi ont entièrement justifié New l’on et Halley, qui avait été compromis dans une affaire analogue. Il est prouvé que toutes les accusations venaient du principal coupable. On sait aussi, par des pièces authentiques, que Newton refusa un jour 6,000 livres (150,000 francs) d’un homme qui tentait de le corrompre. S’il l’avait eu le moindre soupçon sur son honnêteté, quelles que fussent sa science et sa réputation, il n’aurait pu rester, dans un pays libre, pendant vingt-six ans fonctionnaire public et président de la Société royale de Londres.

C’est en 1703 qu’il succéda en cette qualité à lord Somers, et il fut constamment réélu jusqu’à la fin de sa vie. Ses découvertes commençaient d’être connues, sa gloire était déjà incontestée. Sa situation officielle le mit en rapport avec la cour, et surtout avec la reine Anne et le prince George de Danemark, son mari. On lui conféra même la noblesse et le titre de chevalier dans une visite royale à l’université de Cambridge. C’est aussi vers cette époque que se place une aventure peu romanesque, à laquelle l’indifférence célèbre de Newton donne seule de l’intérêt. Fontenelle a dit de lui délicatement : « Il ne s’est jamais marié, et peut-être n’a-t-il pas eu le loisir d’y penser jamais. » On a pourtant trouvé dans ses papiers une lettre qui a été publiée l’an dernier pour la première fois, et l’auteur du livre qui deviendra le fondement de toutes les biographies de Newton, sir David ; Brewster, lui donne le nom de lettre d’amour. Elle est adressée à lady Norris, veuve de sir William Norris, ancien étudiant à Cambridge, puis diplomate, ambassadeur auprès du Grand-Mogol et mort dans la traversée :


« Madame, le grand chagrin que vous a causé la perte de sir William montre que s’il fût revenu près de vous sain et sauf, vous auriez été bien aise de vivre encore avec un mari, et conséquemment la répugnance que vous éprouvez aujourd’hui à vous remarier ne peut provenir de rien autre chose que du souvenir de celui que vous avez perdu. Penser toujours à un mort, c’est mener une vie mélancolique parmi les tombeaux, et combien le chagrin est ennemi de votre santé, cela est très manifeste par la maladie qu’il vous a causée quand vous avez reçu les premières annonces de votre veuvage. Est-ce que vous pouvez vous résoudre à passer le reste de votre vie dans le chagrin et la tristesse ? Pouvez-vous vous résoudre à porter perpétuellement un habit de veuve, un habit qui est peu agréable dans la société, un habit qui rappellera toujours à votre esprit votre mari défunt, et par conséquent