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Berlin pourrait être conduit à adopter quelque mesure propre à sauvegarder son droit. Or ici commencerait la gravité de l’affaire, et malheureusement la Suisse n’aurait pas peu contribué à laisser grandir cette difficulté, lorsqu’en cédant aux conseils de l’Europe et en ouvrant la porte à quelques prisonniers, elle pouvait entrer dans des négociations où ses intérêts auraient eu certainement de suffisantes garanties. Qu’on aille scruter des archives pour découvrir les vices originels des droits primitifs de la Prusse, qu’on mette en lumière les convenances de l’annexion de Neuchâtel à la Suisse, la puissance d’un fait universellement accepté, tout cela est possible ; sans remonter plus haut que 1815, il n’y a pas moins pour la Prusse un droit que toutes les puissances ont reconnu, et tant que ce droit subsiste, le cabinet de Berlin est assez fondé, on ne peut le nier, à ne point admettre que des hommes armés en sa faveur puissent être jugés et condamnés comme des coupables. Mais la Prusse ira-t-elle jusqu’à l’extrême limite de son droit ? À tout prendre, pour la Prusse, c’est une question de dignité, puisque le roi Frédéric-Guillaume est vraisemblablement disposé à accepter une transaction sur le fond de la question. Pour la Suisse, au contraire, c’est le fond de la question qui importe. Entre ces deux situations, il est impossible qu’il ne surgisse pas un moyen de conciliation, et la Suisse devrait s’y prêter d’autant plus volontiers, que dans cette résistance à toute concession elle pourrait bien n’avoir pas les appuis qu’elle aurait assurément dans une négociation régulière. Quoi qu’il en soit, la question reste entière avec ses difficultés et même avec ses périls. La Suisse presse le jugement des insurgés royalistes de Neuchâtel, se réservant sans doute de les amnistier, si une condamnation est prononcée. La Prusse, de son côté, prend une allure assez délibérée et assez menaçante. Rien ne surviendra pourtant, selon toute apparence, sans que l’Europe soit appelée à exercer quelque pacifique et salutaire médiation.

Les difficultés de toute sorte qui naissent de ces complications d’intérêts et de souverainetés, on les retrouve encore dans les questions qui s’agitent entre le Danemark et l’Allemagne. Ici même elles ont peut-être un caractère plus grave, qu’il faut aller saisir au sein de la plus inextricable confusion. Le Danemark, on ne l’ignore pas, se compose de plusieurs parties : il y a le royaume proprement dit, il y a les duchés de Holstein et de Lauenbourg, qui appartiennent tout à la fois à la monarchie danoise et à la confédération germanique. Entre ces deux parties se trouve le duché de Slesvig, où se mêlent les populations des deux races. De cette composition hétérogène est née une lutte permanente entre l’élément danois et le germanisme, qui a son foyer dans le Holstein, qui cherche à gagner le Slesvig, et cette lutte de races s’est compliquée encore dans ces dernières années de l’opposition violente déclarée par l’aristocratie du Holstein aux institutions libérales qui ont prévalu dans le royaume. C’est de là qu’est sortie la guerre de 1848 et que découlent encore les troubles actuels du Danemark. Ainsi, qu’on le remarque bien, dans ces obscures affaires il y a deux tendances, deux forces en présence. D’un côté se trouvent l’élément danois et l’esprit libéral, qui marchent ensemble et sont intimement unis ; de l’autre sont l’élément germanique et l’esprit aristocratique du Holstein. Jusqu’ici, ce n’est qu’une question intérieure ; mais la question prend un caractère international par