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qu’ils donneraient un coup de chapeau ; mais l’intimidation n’en était pas moins une menaçante contrainte, et elle se faisait reconnaître assez fréquemment à des actes de véritable tyrannie.

C’était au progrès des lois qu’il fallait demander le progrès des mœurs. Contre l’intimidation, dont les victimes ne pouvaient être les complices, les lois n’avaient guère qu’à seconder le mouvement des mœurs ; mais contre la corruption, qui avait la faveur des corrompus, il fallait qu’elles leur fissent en quelque sorte violence. Il appartenait donc aux législateurs de se mettre résolument à l’œuvre, non pas en cachant le mal dans l’ombre et en l’enveloppant de ténèbres, mais en le regardant en face et au grand jour, afin de pouvoir plus sûrement le combattre et le vaincre. C’est l’honneur de la législation de la Grande-Bretagne d’être entrée dans cette voie et de l’avoir suivie jusqu’au bout sans découragement, ne reculant jamais et avançant toujours dans cette grande lutte entreprise pour l’épuration des élections, qui a été le siège de Troie, mais aussi la conquête de Troie.

Il ne s’agissait pas seulement d’ajouter de nouvelles lois à celles qui étaient déjà en vigueur : c’étaient des lois applicables qu’il fallait établir. L’impuissance des anciennes lois les avait discréditées : elles ne pouvaient guère atteindre que les petits coupables, elles laissaient échapper les plus grands, et elles étaient ainsi en désaccord avec ce besoin permanent d’égale justice dont la nation anglaise ne s’est jamais désaccoutumée. Grâce aux difficultés de la preuve, non-seulement les principaux agens savaient échapper à l’amende exorbitante qui devait les atteindre et ne laissaient frapper que leurs subalternes ; mais le candidat lui-même dans l’intérêt duquel les électeurs étaient corrompus, et à qui l’on aurait pu dire avec le poète :

La faute en est… à toi, riche, à ton or,

était à peu près assuré de l’impunité. Sans doute la loi ne le couvrait pas de son indulgence ; elle enlevait au député coupable le siège au parlement que la corruption lui avait fait gagner : en le déclarant incapable d’être élu pendant toute la durée du parlement, elle le mettait ainsi sous le coup de la juste punition qui devait le frapper. Ce n’étaient là toutefois, de la part du législateur, que de bonnes intentions, qui restaient trop souvent stériles. Pour que la corruption tournât au détriment du député qui en avait profité, il fallait qu’elle pût être prouvée contre lui, et les moyens de preuve faisaient défaut.

Telle fut la lacune que les lois nouvelles cherchèrent à combler, et si elles y réussirent, c’est que le succès fut l’œuvre bien conduite de la persévérance, qui ne se ralentit pas, et de la prévoyance, qui ne se laisse pas déjouer.

Pour atteindre le mal à sa source, c’était l’auteur de la corruption,