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chrétienne que plus l’homme est parfait, plus il découvre en lui d’imperfections, et il y a souvent lieu de faire sur les peuples la même expérience. L’Angleterre peut hardiment la supporter : les poursuites et les enquêtes auxquelles les dernières élections donnent lieu peuvent faire découvrir et condamner un certain nombre de coupables ; mais elles serviront aussi à montrer que les coupables d’aujourd’hui sont pris dans la classe de ceux qui étaient les innocens d’autrefois.

Les changemens de l’état social du pays sont venus en aide aux heureux efforts de la législation, et ont contribué à élever le niveau de l’honnêteté et de l’indépendance des électeurs. Les bienfaits de l’éducation, la diffusion des lumières, l’accroissement du bien-être, joints à la diminution progressive du nombre d’électeurs appartenant aux classes les plus vénales[1], ont préparé des citoyens plus capables de faire usage de leurs droits et moins disposés à en trafiquer. En même temps les réformes économiques, telles que le rappel des lois des céréales et la liberté des échanges, ont émancipé les fermiers des campagnes et les employés des manufactures en ne permettant plus à leurs propriétaires ou à leurs maîtres, pressés désormais par les exigences de la concurrence, de pouvoir se passer de leurs services par fantaisie politique. Enfin la longue pratique de la liberté régularisée dans son exercice ne pouvait être une école stérile de mœurs publiques, et comme il était dit dernièrement avec une chaleureuse admiration par l’auteur de l’étude sur l’Avenir politique de l’Angleterre, « c’est dans la gymnastique perpétuelle de la vie politique que le caractère national s’est graduellement épuré, relevé et fortifié. »

Sans doute, en dépit de tous les progrès, il ne faut pas s’imaginer que le vote des électeurs ne sera jamais déterminé que par des motifs irréprochables. À moins que l’Angleterre ne soit mise un jour à un régime de liberté silencieuse incompatible avec les seules conditions qui empêchent l’élection d’être illusoire, les conditions de la lutte, l’exercice du droit électoral ne pourra jamais être également désintéressé, ni également spontané pour tous les électeurs. Il faudrait rompre tous les liens qui rattachent le député à ses commettans et refaire à neuf la nature humaine pour mettre obstacle aux moyens d’action destinés à servir l’intérêt d’une candidature. Pour atteindre la corruption, même indirectement préparée, et l’intimidation, même adoucie, une importante réforme est depuis longtemps demandée, et après avoir été débattue dans les assemblées électorales, elle va être de nouveau discutée dans le parlement : c’est la substitution du scrutin secret au vote public.

  1. Ainsi aujourd’hui, d’après une statistique qui remonte à dix ans, la classe des freemen ne compte guère en Angleterre plus de 49,000 électeurs sur les 360,000 électeurs des bourgs.