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sont identiques. Dans toutes les langues, il y a un fonds dépendant de la nature humaine, puis l’influence de la race et celle de la région : la communauté de la nature humaine produit ce qu’elles ont de commun : la race et la région, ce qu’elles ont de différent.

La conclusion à tirer est directement contraire à l’hypothèse qui place le berceau des Sémites à côté de celui des Ariens. Les Sémites et les Ariens n’ont point de caractères anthropologiques qui les distinguent, cela est incontesté ; de là des analogies entre le système de langues des uns et celui des autres, lesquelles sont dues, comme le dit très bien M. Renan, à une même psychologie. Si le second terme, l’identité de séjour, coïncidait aussi, on ne verrait aucune raison aux différences fondamentales qui séparent les idiomes sémitiques des idiomes ariens. Les deux frères, pour me servir de sa comparaison, s’ils avaient été élevés aux mêmes lieux, auraient, avec un cerveau semblablement disposé, reçu des impressions semblables d’un même monde extérieur, et leurs langues auraient subi l’action d’un moule commun. Il faut donc admettre, suivant moi, que le séjour des Sémites a été primordialement distinct de celui des Ariens, et, au lieu d’un seul berceau, supposer qu’il y en a eu deux.

Au reste, la biologie et la philologie s’accordent en ceci, qu’elles arrivent toutes deux à des groupes irréductibles qu’elles ne peuvent faire rentrer l’un dans l’autre. La première ne connaît aucune voie scientifique, aucun procédé légitime, aucune théorie à l’épreuve de la critique, pour faire provenir la race blanche de la race nègre, ou la race nègre de la blanche, de la race jaune de l’une de ces deux-là. La seconde a vainement cherché un point commun de jonction, une série de radicaux qui permissent de rattacher toutes les langues à un même tronc. Ces deux sciences, si diverses, concourent à indiquer une solution semblable. Il faut accepter les faits tels qu’ils se présentent. La seule hypothèse qui s’y accorde (et pour ces origines, soustraites à nos regards, il n’y aura jamais que des hypothèses, mais rigoureusement assujetties à l’ensemble des notions), c’est d’admettre un certain nombre de familles primordiales, souches distinctes du genre humain, et produites, comme tout ce qui fut produit, avec des types spéciaux. L’humanité ne fut pas plus la même dans les grands compartimens du globe que n’y furent les mêmes l’animalité et la végétalité. Quelques-unes de ces familles ont très probablement péri ; toutes ne furent peut-être pas contemporaines ; leurs langues, leurs aptitudes, leur théologie, furent différentes, quoique avec un fonds commun ; leurs rencontres, leurs luttes, leurs destinées varièrent jusqu’à ce qu’enfin certaines d’entre elles, devenues les aînées par le droit de la science et de la puissance, prennent souci des familles cadettes, et, dégageant de ses voiles la grande idée d’une humanité mère et protectrice de tous,