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et près d’accoucher, elle demanda qu’une de ses jeunes sœurs vînt lui tenir compagnie jusqu’après la naissance de son enfant. Ce désir fut satisfait ; mais, quelques semaines après son retour, la jeune fille montra des signes de malaise et d’abattement moral. On découvrit alors qu’elle avait été séduite par son propre beau-frère. Son père la condamna à rester enfermée dans sa chambre jusqu’à ce qu’il eût pris une décision ; ses sœurs évitèrent sa présence et lui prodiguèrent l’injure. Sa mère seule en eut pitié, et souvent dans la nuit, s’il faut en croire les rumeurs du village, les passans attardés entendaient les deux femmes pleurant et parlant ensemble. « Elles pleurent et parlent encore, disent les paysans de la localité, quoiqu’elles soient l’une et l’autre descendues depuis longtemps dans le tombeau. » La conclusion de l’histoire est terrible : le père fit offrir publiquement une somme d’argent à quiconque voudrait épouser cette réprouvée, qui avait jeté le déshonneur sur une famille religieuse. On trouva un mari qui, se croyant autorisé sans doute par la conduite du père, la fit mourir de chagrin. Cette famille si rigide ne cessa pourtant pas ses relations avec le misérable parent qui avait séduit cette malheureuse. Les durs habitans des environs ont eux-mêmes été scandalisés et tiennent pour maudits les descendans de cette cruelle et pharisaïque famille.

Des gens d’une humeur aussi peu sociable doivent être de désagréables paroissiens. Aussi donnent-ils parfois d’étranges embarras à leurs ministres. Le prédécesseur de M. Brontë, M. Redhead, fut obligé de fuir devant les facéties des habitans d’Haworth : ils s’étaient imaginé que sa nomination violait je ne sais quels droits de la commune, et ils se disposèrent à les revendiquer par toute sorte de moyens charivariques. Le premier dimanche qu’il officia, ils se contentèrent de faire un sabbat infernal avec des cannes et des bâtons dont ils s’étaient munis dans cette louable intention ; mais le dimanche suivant montra que leur imagination avait travaillé et mis à profit les sept jours de la semaine. Au milieu du service divin, un âne monté par un homme le visage tourné du côté de la queue et portant sur la tête une pyramide de vieux chapeaux, entra dans l’église et la parcourut lentement au milieu des rires et des applaudissemens de la congrégation, qui étouffèrent la voix de M. Redhead. Le troisième dimanche, M. Redhead crut nécessaire de prendre ses précautions, et se rendit à l’église escorté de quelques amis venus d’un village voisin. Cette prudence bien naturelle excita la fureur de ses paroissiens. Ils vont chercher un ramoneur tout barbouillé de suie, le grisent, l’emmènent dans l’église, et le placent en face du pupitre de M. Sedhead. Voilà cette tête barbouillée qui s’agite et donne, à la grande joie des assistans, son assentiment stupide à toutes les paroles