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La peinture et la sculpture, vulgarisées comme l’écriture et l’orthographe, comme des notions de première nécessité, ne sont pris pour moi l’âge d’or. Tout le monde croit savoir écrire, et Dieu sait comme on le prouve. Jusqu’à présent, les livres conçus en dépit du bon sens, écrits en dépit de la grammaire, étaient plus nombreux que les tableaux et les statues conçus en dépit du dessin. M. de Laborde veut rétablir l’équilibre. Quand le maniement du crayon, du pinceau, de l’ébauchoir, fera partie de l’éducation comme l’étude de la langue, les tableaux ridicules, les statues absurdes se multiplieront aussi facilement que les livres dépourvus de toute raison. Ce que l’auteur appelle bienfait, ce qu’il envisage comme un progrès intellectuel, ne serait à mes yeux qu’un fléau. Nous avons les chanteurs de salon qui fredonnent des chansonnettes ou des romances, au grand ébahissement des amis qui les écoutent. La musique fait aujourd’hui partie de l’éducation, personne ne peut l’ignorer. Un homme bien élevé ne peut se dispenser, s’il veut conserver sa réputation de courtoisie, d’applaudir chaudement chaque morceau dans les concerts où ne figure pas un chanteur exposé aux sifflets du parterre ; Il est perdu s’il n’habitue pas ses oreilles au courage, son visage à l’impassibilité. C’était trop peu que la musique de société pour exercer notre patience ; nous aurons la peinture, la sculpture de société : le progrès n’est pas douteux. Avec de tels auxiliaires, le goût public ne peut demeurer ce qu’il est. Il s’élèvera. Comment ne s’élèverait-il pas ? Quand on sera forcé, après avoir salué la maîtresse de la maison, d’admirer, de louer les chefs-d’œuvre éclos en famille, les esprits les plus obtus deviendront clairvoyans, les plus indifférens se passionneront pour la ligne, pour la couleur, pour la forme. On aura beau s’en défendre, on sera connaisseur malgré soi. Et pour réaliser toutes ces merveilles, que faut-il faire ? Inscrire le dessin comme une étude obligatoire dans le programme de l’éducation. Dans les moindres pensionnats, le dessin sera une chose importante, un sujet d’émulation. Ignorer le maniement du crayon deviendra une singularité, presque une honte. Les gens du monde formés à une telle école devineront à première vue la date et l’origine d’un tableau. Ils ne confondront plus les débris trouvés dans la banlieue d’Athènes avec les œuvres du ciseau romain, Les leçons qu’ils auront reçues dans leur jeunesse les prémuniront contre un tel danger. On parlera d’une méprise comme d’un scandale.

Ce n’est pas, à Dieu ne plaise, que je considère comme indifférente l’éducation esthétique de la foule : tout ce qui pourrait servir à développer le sentiment de la vraie beauté parmi ceux qui ne pratiquent pas les arts du dessin doit être accueilli avec empressement ; mais le remède proposé me semble pire que le mal. Le goût