Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne pourrais m’y refuser sans nier l’évidence. On cite des familles bénies, dont l’orgueil et la joie sont de régner sur une commune, sur un canton, par la bienfaisance, par la générosité. Le spectacle de ces vertus, transmises de génération en génération, est trop consolant pour ne pas appeler l’attention du philosophe ; mais cet exemple, qui n’a pas encore trouvé de nombreux imitateurs, ne change pas les conditions de l’industrie. Le caractère égoïste ou généreux des hommes qui ont organisé le travail pour dégager l’utilité des choses ne modifie pas les formes du problème. Il s’agit toujours de produire à bon marché ce qui était produit à grands frais pour accroître la consommation, ou de trouver l’usage d’une chose demeurée sans emploi. Dans le premier comme dans le second cas, le but est la richesse. Que les inventeurs d’un procédé nouveau qui doit changer, simplifier la fabrication, prennent rang parfois parmi les hommes les plus éminens de leur pays, je ne songe pas à le contester. Le métier Jacquart, la machine à filer, sont très dignes d’admiration. Cependant ces deux découvertes n’altèrent pas le caractère de l’industrie. La machine à filer, le métier Jacquart ont abaissé le prix des indiennes, le prix des soieries. Et s’ils n’ont pas enrichi ceux qui les ont créés, ils enrichissent aujourd’hui ceux qui les emploient. J’ai donc le droit de dire que la recherche de l’utile est l’unique but de l’industrie, et je ne prendrais pas la peine de l’affirmer, si M. de Laborde ne proposait pas une alliance entre l’art et l’industrie. Pour soutenir l’opportunité d’une telle alliance, il faut oublier ce que je rappelle ici, ce qui est démontré depuis longtemps, que l’utile et le beau ne sont pas une seule et même chose. Dans la recherche du beau, dans l’expression de la forme harmonieuse et pure qui excite notre admiration, il n’est jamais question de produire vite, de produire à bon marché. Or l’industriel qui négligerait ces deux points serait montré au doigt. Celui qui veut s’enrichir en appliquant les choses aux besoins de la vie matérielle doit toujours songer à simplifier la main-d’œuvre. Si l’artiste s’avise de suivre un tel exemple, il change de nom. J’ai entendu parler d’une famille de graveurs qui avaient introduit dans leur profession la division du travail recommandée par Adam Smith. Les ouvriers du premier étage se chargeaient des figures. Au second étage, on faisait les terrains et les plantes ; au troisième, les ciels. Les estampes qui sortaient de cette maison arrivaient sur le marché dans de bonnes conditions. Croit-on que Marc-Antoine Raimondi, Bolswert et Drevet aient jamais suivi le conseil d’Adam Smith ?

La recherche de l’utile semble parfois se confondre avec la recherche du beau, car il est utile de produire de belles étoffes, de beaux meubles, puisque les beaux meubles et les belles étoffes