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de lutte, les conditions faites aux opinions et aux partis. Ainsi à Paris le nombre des abstentions a été évidemment considérable ; il dépasse le tiers du chiffre des électeurs inscrits. Parmi les votans, 110,000 se sont rangés du côté du gouvernement, 96,000 se sont prononcés pour l’opposition, ce qui constitue un total moins fort pour les candidats officiels et plus élevé pour l’opposition qu’en 1852. Dans les départemens, les abstentions sont également considérables, et la répartition des votes émis est assez inégale. En bien des cas, les candidats de l’opposition ont obtenu dans les villes des avantages partiels, neutralisés par les contrées rurales, dont le vote, souvent unanime, a fait le succès des candidats du gouvernement. On pourrait observer une autre circonstance, c’est que là où, par suite de scissions, comme cela est arrivé à Paris, des candidats d’une opposition modérée se sont trouvés en compétition avec des candidats représentant des tendances extrêmes, ce sont les premiers qui ont réuni le plus de voix. Veut-on enfin un dernier indice qu’il ne serait pas difficile peut-être de dégager de ce tourbillon ? C’est qu’en général, au milieu de leurs incertitudes, les électeurs rechercheraient volontiers des hommes nouveaux. On en a vu surgir d’étranges, qui n’avaient d’autre mérite que de paraître pour la première fois. Que serait-ce s’il y avait sur tous les points des hommes sérieux, entrant dans la vie publique avec des opinions sensées, sans esprit de système, et libres de tout engagement ?

Cela ne modifie en rien sans doute le résultat actuel. Ce sont simplement des faits à consulter. Peut-être y aurait-il du moins une conclusion à tirer de ce dernier mouvement électoral : c’est que le parti démocratique n’a point fait vraiment une aussi belle campagne qu’il pourrait le penser avec la meilleure volonté de se créer des illusions. Il s’est multiplié dans les limites de la législation actuelle, il s’est présenté partout où il l’a pu, il a envoyé ses candidatures dans les provinces ; il a tenu, en un mot, à entrer dans la lutte avec ses couleurs et son drapeau, à montrer qu’il était bien toujours le même, qu’il apprenait peu et qu’il oubliait encore moins. À quoi est-il arrivé ? Il n’est point impossible que le gouvernement, outre sa victoire matérielle, ne trouve une force de plus dans ce spectacle d’un parti dont les opinions sont loin de rassurer, et qui est assez bien organisé pour transmettre dans les départemens les bulletins de ses résolutions, ainsi qu’on vient de nous l’apprendre. Les quelques avantages que le parti démocratique a obtenus, on ne saurait les mettre au compte de la liberté ; ils la serviront peu. Dans toutes ces particularités inhérentes aux dernières élections, n’y a-t-il pas en même temps certaines lumières propres à guider les opinions indépendantes et sincèrement modérées ? Peut-être se défient-elles de leurs forces plus qu’elles ne le devraient. Elles ont certes de profondes racines dans le pays, elles répondent à un instinct de libéralisme qui n’est point mort. On n’aurait qu’à observer certains détails du dernier scrutin pour voir de quel poids elles pourraient être. Qu’ont-elles donc à faire ? Elles ont à se reconnaître, à se compter dans les occasions qui leur sont offertes. Ce n’est pas sans doute par des alliances compromettantes qu’elles peuvent agir utilement, c’est en restant elles-mêmes, en imprimant dans la conscience du pays cette persuasion qu’il garde toujours en lui une force libérale et conservatrice dont il n’a qu’à vouloir se servir.