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de ces crêtes nos soldats ont pu distinguer tout à coup les blanches maisons de la première ville de notre colonie. Là vivent des peuplades aux mœurs belliqueuses, fières de leur indépendance, très différentes par les traditions des populations arabes, ayant conservé leur caractère primitif à travers toutes les invasions, et distribuées encore en confédérations toujours prêtes à prendre les armes. La proximité de la Kabylie, la menace d’incursions incessantes jusque dans la Mitidja, le danger de ce foyer d’élémens hostiles et rebelles, étaient visiblement autant de raisons d’incompatibilité entre la domination française et l’indépendance kabyle. L’illustre maréchal Bugeaud fut l’un des premiers à reconnaître la nécessité de forcer par les armes l’entrée de ces montagnes, sauf à compenser ensuite par la douceur et l’équité de l’administration les terribles rigueurs de la guerre. Il avait vu clairement que la domination de la France ne pouvait être sûre qu’en étant complète. On eut le tort quelquefois de lui disputer les moyens d’action, et comme il arrive presque toujours des entreprises nécessaires, quoique difficiles et contestées, la conquête de la Kabylie s’est accomplie, au milieu, du bruit des controverses dont elle était l’objet, par la force même des choses.

La conquête de la Kabylie sera, sans nul doute, un des épisodes les plus curieux dans l’histoire de la prise de possession de l’Afrique par la France ; elle conservera ce caractère curieux et par les efforts d’héroïsme qu’elle a imposés à nos soldats, et par la nature des obstacles, qu’il a fallu vaincre, et par l’énergie de la résistance. Elle était en principe, si l’on peut ainsi parler, dans la création de ces positions de Dellys, Bougie, Sétif et Aumale, placées en quelque sorte comme des sentinelles aux quatre angles d’un carré destiné à se resserrer de jour en jour, en enveloppant de toutes parts les massifs kabyles. DE là ont rayonné en effet toutes les expéditions, toutes les tentatives de conquête qui se sont succédé en ces dix dernières années. Il a fallu débloquer Dellys et Bougie, libres du côté de la mer et souvent menacées du côté de la terre. Les Kabyles ont voulu briser plus d’une fois ce cercle qui les étreignait, et ils sont allés d’eux-mêmes au-devant des coups de la France. C’est ainsi que tous ces chefs qui se sont élevés bientôt aux premiers rangs de l’année, le général Saint-Arnaud, le général Bosquet, le général Pélissier, exécuteurs de la pensée du maréchal Bugeaud, ont été conduits successivement à franchir ces remparts formidables, allant chercher les tribus les plus hostiles jusque dans leurs nids d’aigles où elles se croyaient inexpugnables, saccageant quelquefois leurs moissons, ouvrant des routes sur leur passage, et laissant partout des postes avancés qui devenaient le point de départ de marches nouvelles. La campagne actuelle, conduite par le gouverneur-général lui-même, le maréchal Randon, n’est que le couronnement de cette série d’entreprises. Parmi les diverses tribus, une surtout, celle des Beni-Raten, était parvenue jusqu’ici à se soustraire à l’ascendant de la France, soit par la ruse, soit parce qu’elle était plus difficile à atteindre. La présente expédition n’a point eu d’autre objet que de vaincre la résistance kabyle jusque dans ses derniers retranchemens, et ce n’était point une œuvre aisée, puisque cinq cents hommes ont été mis hors de combat dans l’assaut qui a porté notre armée sur le plateau de Souck-el-Arba, point culminant de cette partie du Jurjura. Maintenant la tribu des Beni-Raten et les tribus environnantes paraissent faire leur soumission ; elles