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Le tableau peint par M. Deltuf peut avoir son prix par l’exactitude de certains détails ; il est froid néanmoins en voulant pénétrer au plus vif des mœurs contemporaines ; il n’a rien qui saisisse ou attire, et on arrive à se demander d’où vient cette étrange émulation de beaucoup d’écrivains occupés aujourd’hui à dépeindre dans leurs ouvrages des mondes sans aveu, dont l’existence n’a d’autre mérite que d’exciter une certaine curiosité dépravée et éphémère. Ceux-ci vont fouiller dans tous les secrets de la vie des courtisanes ; d’autres vont chercher leurs inspirations et leurs types dans les régions de la spéculation aventureuse. Quelques-uns ont mis un talent réel dans leurs tableaux. D’où vient cependant que ces peintures gardent on ne sait quoi de froid et de vulgaire ? C’est que les auteurs abaissent et rétrécissent l’art en croyant lui offrir un nouveau champ d’observation. Ils prennent pour la vie même de notre temps ce qui n’est qu’un épisode. Ils se bornent trop à peindre les mondes inavoués pour eux-mêmes. Or ces mœurs n’ont rien qui intéresse ; ces personnages, il faut bien le dire, offrent peu de ressources à l’art. Toute cette vie étrange, frauduleuse, violente et vulgaire, manque essentiellement de poésie. C’est un fait tout spécial, en dehors duquel se déroule la véritable société, la seule où l’esprit puisse trouver l’aliment de sérieuses et larges inspirations. M. Osciar de Vallée cherche dans son livre sur les Manieurs d’Argent comment on pourrait guérir notre temps de sa maladie morale. La littérature n’a pas dans les mains l’unique remède ; elle peut du moins commencer la guérison en cessant de vouloir intéresser à des mœurs et à des existences dont le spectacle n’offre qu’un attrait dangereux et malsain.

La satire peut traverser ces régions, l’intelligence poétique ne peut indéfiniment se complaire à les peindre, elle n’y trouve même plus la nouveauté ; ces types, ces personnages, ces mœurs, ces incidens, se ressemblent invariablement. Rien n’est heureusement plus monotone que le vice, même comme inspiration littéraire. Dans la vérité au contraire, dans la pureté des sentimens et des pensées, dans l’étude sincère et dévouée de la vie prise en son plus large sens, l’art littéraire retrouve son énergie salutaire et féconde. Par malheur, dans notre temps, c’est une lutte qui se livre sous toutes les formes entre des influences mortelles et des influences plus généreuses, et faire œuvre de critique, ce n’est point autre chose vraiment que d’observer les péripéties de cette lutte où sont enjeu les destinées de l’esprit. M. de Pontmartin, on le sait, est un de ces observateurs qui, par circonstance, par impatience d’action ou par goût, se jettent dans la mêlée littéraire. Romans ou poésies, histoires ou études morales, il juge toutes ces œuvres qui se succèdent, et avec ses jugemens il fait des livres qui sont un enchaînement d’aperçus, de digressions, d’entretiens rapides. L’œuvre d’ailleurs est ondoyante et diverse comme le sujet lui-même ; elle va de la chaire au théâtre, d’un livre d’histoire ou d’analyse politique à une étude littéraire, de la révolution à un conte, et de l’empire romain à un vaudeville. M. de Pontmartin avait d’abord donné à ses critiques le simple nom de Causeries littéraires, il a continué par les nouvelles ou les dernières Causeries ; il prend maintenant un jour, et on a les Causeries du Samedi, qui sont les plus récentes, qui réunissent tout un ensemble de fragmens sur des poètes, des philosophes, des romanciers, des historiens, sans compter les écrivains qu’il est