Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propriétaires de ces antiques et vénérables demeures ont subi autrefois de grandes pertes, par suite des perturbations nombreuses introduites dans les fortunes. Ces inscriptions mystérieuses font allusion à la manie des tulipes. L’amour des fleurs ne jouait d’ailleurs dans ces combinaisons financières qu’un rôle très secondaire. Les innocentes tulipes étaient le prétexte, non le but de marchés à terme dans lesquels s’engageaient avec une fureur extrême les boursiers du temps. Les fameux oignons furent assimilés aux différens effets des fonds publics, et, comme ceux-ci, achetés ou vendus à des prix qui variaient de jour en jour. Les parties liquidaient ensuite leurs comptes à des époques fixes. C’était ainsi un jeu nouveau et prodigieux, où tous les citoyens pariaient les uns contre les autres. « Avant que la saison des tulipes fut passée, dit un écrivain hollandais, il y avait plus d’oignons cotés sur la place que, selon toute vraisemblance, les jardins de la Hollande n’en pouvaient fournir. » Quelques-uns de ces oignons célèbres n’ont en effet jamais existé. Le semper augustus, qui fut l’objet d’achats et de ventes frénétiques, n’a nulle part été vu en fleur. On jouait alors sur les tulipes comme on a joué de nos jours sur les actions de chemins de fer. Le gouvernement de la Hollande dut prendre des mesures pour réprimer cette soif d’agiotage. Aujourd’hui les tulipes ont cessé d’être des valeurs financières, mais elles n’en continuent pas moins de s’épanouir, précieuses et fières, dans les plates-bandes des jardiniers fleuristes. J’ai visité dans la ville de Harlem ces cultures historiques. Les tulipes de choix réunies dans ces musées de la nature m’ont paru fort belles, mais pas plus belles (j’avoue humblement mon ignorance) que d’autres tulipes vulgaires devant lesquelles les connaisseurs lèvent les épaules. Quelques-unes de ces folles maîtresses pour lesquelles d’anciens amans se sont ruinés coûtent encore des sommes assez considérables (1,000 florins par exemple) ; ces prix, quelque extravagans qu’ils soient, ne sont plus en rapport avec les évaluations chimériques attachées jadis à des fleurs qu’on n’a jamais vues. C’était peut-être là leur mérite.

Deux établissemens publics jettent encore un jour précieux sur l’histoire de la Néerlande, — le cabinet de médailles à La Haye et les archives du royaume. La collection numismatique est fort riche. Toute l’époque de la réformation, la guerre de l’indépendance, les principaux événemens de la république, les hommes célèbres, revivent là sur le bronze, l’or, l’argent ou les pierres précieuses. Les archives de La Haye occupent sur le Plein un bâtiment considérable[1]. C’est là que logeaient autrefois les députés de la province

  1. Il y a seulement cinquante ans que M. Henri van Royen, membre de la première chambre de l’assemblée législative de cette époque, proposa de rassembler toutes les chartes et autres documens confiés autrefois à la garde des diverses administrations publiques et provinciales. Cette proposition fut acceptée, et M. van Wijn, chargé de ce travail, reçut le titre d’archiviste. Un nombre considérable de mémoires du temps des comtes de Hollande et une grande quantité de chartes furent découverts par lui dans les greniers, sous les combles et dans une des tours du Binnenhof à La Haye. Ces documens et ces manuscrits n’avaient pas vu le jour depuis des siècles. M. van Wijn explora aussi les archives de la Zélande et du Hainaut ; il rapporta de son voyage plus de deux cents chartes des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, et le sceau original du roi des Romains, Guillaume. Outre les archives du royaume à La Haye, on s’est appliqué, depuis quelques années, à mettre en ordre des archives provinciales et locales qui offrent une mine féconde pour une meilleure appréciation de faits peu connus ou mal interprétés jusqu’ici. C’est ainsi que les archives d’Utrecht, celles de la Gueldre, de la Frise, d’Amsterdam et d’autres villes ont fourni d’amples matériaux aux recherches des archivistes, MM. Nyhoff, Eekhoff, Scheltema, etc.