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et il ne céda jamais ni à la pitié ni à l’amour. C’est cette froideur naturelle, cette absence d’entraînemens et de faiblesses, qui, effrayant les Romains, faisaient comparer ce Barbare, impassible dans ses destructions, à une divinité malfaisante, et lui valurent le renom du plus grand des Barbares.

Si la grandeur de ces sombres héros du Ve siècle consistait dans leur séparation de l’humanité, Genséric serait effectivement au-dessus d’Attila, qui, après tout, avait les penchans bons ou mauvais d’un homme, chez qui l’orgueil nourrissait la passion de la guerre, qui ravageait le monde pour le plaisir de vaincre, d’humilier ses ennemis, de rendre son nom redoutable, de sentir les nations sous ses pieds. Ces instincts dans le roi des Huns dominaient l’amour du pillage et du vol ; il avait l’âme d’un conquérant sauvage, Genséric celle d’un pirate. Le premier eût voulu posséder l’univers, le second le dépouiller. Les cruautés du fils de Moundzukh et ses dévastations avaient souvent pour mobiles la vanité, le besoin de frapper les imaginations : s’il eût pris Rome, il n’en aurait fait qu’un monceau de cendres ; il en aurait déraciné jusqu’aux fondemens, heureux d’attacher son nom à la ruine d’une ville qui osait se dire éternelle ; mais il suffit de la prière d’un prêtre pour l’arrêter. Aucune prière n’aurait fléchi Genséric aux portes de Rome, et quand il s’y fut introduit furtivement à l’aide de la trahison, il ne la détruisit point, il la pilla à loisir, chargeant sur sa flotte jusqu’aux portes de bronze et au toit des temples, puis il regagna précipitamment l’Afrique comme un voleur qui met à l’abri ses larcins. Lorsqu’en 450 il vint proposer au roi des Huns de se jeter en commun sur l’Italie, il choisissait bien son allié : Attila aurait revendiqué pour son lot la gloire des batailles et de l’épouvante, Genséric l’argent.

Dans le butin que Genséric emporta de Rome figurait celle qui lui en avait ouvert les portes, Eudoxie, femme de Maxime et veuve de Valentinien III. Le pirate l’emmenait avec ses deux filles, Eudocie et Placidie, non pour les dérober au juste ressentiment de leur patrie, qu’elles n’avaient pas craint de sacrifier à des vengeances domestiques, mais pour tirer d’elles plus tard une bonne rançon, car il supposait que des veuves et nièces d’empereurs, des petites-filles de Théodose, devaient posséder de grands biens, soit en Occident, soit en Orient. La même pensée lui fit emmener aussi et réduire en captivité tout ce qu’il put saisir dans Rome de jeunes filles et de jeunes garçons du haut patriciat, entre autres Gaudentius, fils du grand et infortuné Aétius.

Quoique mère de deux enfans nubiles, Eudoxie était encore dans tout l’éclat de cette beauté fatale qui lui valut l’amour et les folles confidences de Maxime, et Attila, si elle fût tombée entre ses mains,