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Ardabure, ayant résisté, fut mis en pièces ; Patricius reçut de nombreuses blessures, dont il ne mourut point, et Léon se contenta de le bannir après avoir rompu ses fiançailles avec Léoncie, qui n’était point encore sa femme. Un grand trouble suivit ces exécutions. Nombre de Barbares et d’officiers romains du parti d’Aspar se présentèrent en armes devant le palais ; il y eut même un comte Goth nommé Ostro ou Ostroui, qui, avec quelques autres Goths, força l’entrée et pénétra jusque dans l’intérieur des appartemens, où ils déchargèrent leurs flèches. Contraints de faire retraite après un grand carnage, puis chassés de la ville, ils allèrent exciter la révolte parmi les Barbares riverains du Danube. Telle fut la nouvelle qui arriva de Grèce à Rome dans les derniers mois de l’année 471 ; elle y causa presque autant d’émotion que l’événement lui-même en avait pu produire à Constantinople. Léon voulut l’annoncer à son collègue par une lettre de sa main, comme on annonce un triomphe : « Je me suis défait de ces deux hommes, lui dit-il sans ambages, afin que personne ne prétende élever sa domination en face de la mienne. » À cette leçon facile à comprendre, il joignit une sorte de proposition d’alliance, en offrant à Anthémius, pour le fils aîné qu’il avait laissé à Constantinople, la jeune Léoncie, dégagée de ses liens de fiançailles : ligue singulière entre deux empereurs qui se passaient mutuellement le poignard pour dégager les approches du trône contre les entreprises de patrices étrangers. La barbarie la plus redoutable n’était plus à la frontière, elle était au sein de l’empire, à la tête des troupes romaines, à côté des césars.

La leçon, puisque c’en était une, ne fut pas perdue pour Ricimer, qui, peu désireux de jouer jusqu’au bout le rôle d’Aspar, se hâta de devancer Anthémius. Son premier soin fut de se réconcilier avec Genséric, lui promettant de préparer la voie au trône impérial pour son protégé Olybrius, si Olybrius était homme à saisir l’occasion qui allait se présenter en Occident. Le rapprochement de ces deux ennemis, qu’on croyait irréconciliables, s’accomplit sans bruit, à l’insu de Léon comme à l’insu d’Anthémius, et le monde romain en eut le premier indice par l’apparition d’Olybrius dans la Haute-Italie au commencement de l’année 472. Depuis près de dix ans que le descendant des Anices avait épousé Placidie, il vivait avec elle à Constantinople paisiblement et obscurément, et semblait avoir mis de côté pour jamais ses rêves ambitieux, quand les excitations réunies de Genséric et de Ricimer réveillèrent dans son cœur un feu mal éteint. Sollicité par ce dernier de se rendre sans éclat et sans retard en Italie, il prit ses mesures pour que Léon, qui ne se doutait de rien, n’empêchât point et même en quelque sorte parût approuver son départ pour l’Occident ; mais, dès son débarquement sur les côtes de l’Adriatique, Olybrius courut rejoindre le patrice,