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est fallu de bien peu que nous n’eussions pas besoin de parrain du tout.

« Isaac raconta à mon grand-père ce qui s’était passé. Pendant que sa belle-mère avait quitté la chambre de l’accouchée, afin de donner un coup de main à la cuisinière pour le repas du lendemain, l’enfant nouveau-né avait soudain disparu du berceau, et durant deux heures on s’était perdu en suppositions. On avait accusé les bohémiennes qui avaient rôdé pendant quelques jours autour de la maison ; on avait fait des recherches, on avait déposé plainte chez le maire, quand, il y avait une demi-heure à peu près, en apportant un bouillon à la femme d’Isaac, on s’aperçut que la fenêtre de la chambre était entr’ouverte, et on avait trouvé l’enfant tout gelé, tout bleu et tout meurtri, mais par bonheur vivant encore, couché aux pieds de sa mère.

« Mon grand-père se frappa le front. — Dites donc, Isaac, à quelle heure votre enfant a-t-il disparu ?

— Entre neuf et onze heures.

— Quand a-t-il été retrouvé ?

— A onze heures et demie et quelques minutes.

— Isaac, vous n’avez rien oublié de tout ce qui doit se pratiquer dans une maison israélite où il y a une femme en couches ?

— Rien que je sache.

— Vous avez fait dire des prières par le rabbin ?

— Le rabbin de Dornach est encore là, à côté, qui dit les prières d’usage la veille de la circoncision.

— Qui est chargé de veiller l’accouchée ?

— C’est Kendel, ma belle-mère, que voilà.

— Kendel, dit mon grand-père, y a-t-il des psaumes dans la chambre où se trouvent la mère et l’enfant ?

— Quelle question ! fit la Kendel.

— Vous êtes sûre qu’ils ne sont pas tarés[1] ?

— Le marchand de livres hébreux à qui je les ai achetés les a lui-même fixés au mur.

— Vos mezouzas sont-ils en ordre ?

— J’en ai fait poser de neufs à toutes les portes.

« Mon grand-père ne comprenait plus… Soudain il lui vient une idée : — Kendel, dit-il encore, avez-vous fait la cérémonie des cercles[2] ?

  1. On dit que des psaumes sont tarés quand ils ne sont pas écrits avec l’orthographe voulue, quand il y a des lacunes, quand le livre qui les contient est déchiré ou endommagé.
  2. Cette cérémonie consiste à décrire avec une épée, un couteau ou tout autre instrument tranchant, plusieurs cercles autour de la tête de l’accouchée et de l’enfant nouveau-né pour conjurer toute maligne influence et éloigner les mauvais esprits. D’ordinaire on charge un proche parent de cette opération, qui doit se faire tous les jours à la brune durant tout le temps des couches.