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le père de notre fiancée, chez qui nous allions précisément célébrer la noce. Chemin faisant, Salomon m’apprit que Marem, grâce à son commerce de lie de vin et de peaux de chevreaux, était arrivé à une position très satisfaisante, qui lui permettait de donner à l’aînée de ses filles une dot de trois mille livres en beaux deniers comptans et un trousseau en sus, bien qu’il lui restât encore deux filles à établir ; qu’aimé et estimé de tout le monde, des catholiques comme des israélites du lieu, Marem serait le plus fortuné des hommes, si Dieu ne l’éprouvait cruellement dans ses affections de père. Le plus jeune de ses enfans, son fils unique, s’éteignait, depuis trois ans bientôt, dans les langueurs de la phthisie, cette terrible maladie, beaucoup trop commune, hélas ! en Alsace.

À quelques pas du village de Wintzenheim, nos conducteurs firent une petite halte ; ils ornèrent de rubans rouges leurs chapeaux d’abord, puis la crinière et la queue de leurs petits chevaux ; ils se redressèrent ensuite sur les sièges, firent claquer leurs fouets, et nous menèrent à fond de train, à travers une longue file de curieux, jusqu’à la maison Marem. La manière dont le parnass vint nous recevoir rappelait l’hospitalité traditionnelle de ses ancêtres de la Palestine. On aurait pu se faire quelque illusion, n’eût été un froid assez piquant de novembre et surtout le bonnet de coton posé sur le chef de notre respectable hôte.

Au repas du soir, digne précurseur du repas de noce, le neveu de Salomon, assis à côté de sa fiancée, tira de sa longue redingote un coffret qu’il ouvrit et plaça devant elle. Ce coffret contenait divers objets en orfèvrerie, offrande du prétendu ; c’est toujours la veille du jour solennel que se font ces sortes de dons : aussi cette soirée s’appelle-t-elle la soirée des sablonoth, mot hébreu qui signifie cadeaux. Tout ce que le village contenait de notabilités juives vint faire sa visite aux Marem et à leurs hôtes. On causa beaucoup et bruyamment. La maîtresse de la maison gardait seule une attitude péniblement silencieuse. Elle tenait tendrement enlacées dans ses deux mains les deux mains amaigries d’une sorte de fantôme aux pommettes rouges et saillantes, aux yeux caves et à la toux stridente, placé près d’elle dans un fauteuil à roulettes. Je reconnus le pauvre poitrinaire dont m’avait parlé Salomon.

On se retira vers onze heures. Comme la maison Marem n’était pas de beaucoup assez vaste pour contenir tous les étrangers présens, plusieurs d’entre nous durent coucher chez les voisins : c’est là un trait de mœurs à noter en passant. Le villageois alsacien reçoit-il plus d’amis qu’il n’en peut loger, personne n’a besoin de frapper à la porte de l’auberge. Tout propriétaire israélite aisé possède, dans une partie quelconque de son corps de logis, une chambre d’amis,