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chantre officiant du village. Il était en costume de cérémonie : calotte de velours noir, cravate blanche, d’énormes topazes fausses à son jabot et à chacun de ses petits doigts. Quiconque avait à faire un cadeau de noce au jeune ménage se dirigeait vers cette table ; le hazan l’inscrivait en énonçant chaque fois, à haute et intelligible voix, l’objet donné et le nom du donateur. À chaque objet présenté, c’étaient des cris de surprise et d’admiration. Déjà j’avais entendu annoncer une lampe à sept becs en cuivre rouge, une fontaine à bassin avec double robinet, quatre douzaines d’assiettes en étain, une paire de chandeliers avec mouchettes, quarante aunes de toile, un rouet, un huilier, six paires de draps et un recueil complet de livres de prières pour toutes les fêtes (édition Soulzbach), quand la voix du chantre fut couverte par les sons d’une clarinette qui préludait : c’était le signal de la danse. Dans les villages de l’Alsace, le bal des noces a lieu le jour, et l’on festine le soir : on ne s’en amuse pas moins.

Bientôt arrivèrent garçons et filles d’honneur tout rayonnans de joie. Chacun se constituait le cavalier de deux dames. Quelques membres de la famille restèrent auprès du jeune malade, que cette journée avait fatigué ; ils devaient nous rejoindre un peu plus tard. Les maîtres des cérémonies étaient le veilleur de l’endroit et son ami le garde champêtre, tenant chacun d’une main une pique enrubanée, de l’autre un broc de vin destiné à l’orchestre. Cet orchestre était composé d’un cor de chasse, de deux clarinettes, d’un serpent, de deux trombones et d’une grosse caisse. L’artiste qui jouait de ce dernier instrument, n’ayant pu se faire entendre jusque-là, s’était mis en mesure de prendre sa revanche ; il labourait si bravement sa peau d’âne, qu’il fit trembler toutes les vitres. En Alsace, c’est une vérité reconnue que dans les fêtes villageoises où il n’y a point de grosse caisse il n’y a point de plaisir.

Pour se rendre au local destiné à la danse, il fallait se transporter presque au milieu des champs. Qu’on me permette de raconter les diverses transformations que ce local subissait selon l’occurrence. Au printemps, il servait de salle d’escrime. En été, à l’époque de la moisson, le propriétaire y entassait ses gerbes de blé ; aussi y voyait-on pulluler les rats et les souris. En hiver, c’était la salle de spectacle. Tous les ans, vers les derniers jours de l’automne, quand la bise commençait à souffler, quand les brouillards du Hohlandsberg descendaient sur le village, et que les mésanges en détresse venaient donner dans les pièges en bardeau dressés sur la cime des arbres dépouillés, on était sûr de rencontrer sur la route de Colmar à Wintzenheim, entre le 15 et le 20 octobre, une longue voiture fermée, peinte en vert, et attelée de deux haridelles. Dans