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fourchettes en guise de baguettes pour attirer l’attention, il avait contrefait à s’y méprendre tous les personnages excentriques du village et des environs ; déjà, après s’être éclipsé quelques instans, il avait reparu, traîné dans un pétrin en guise de char et métamorphosé en Turc ; puis, prenant le nom de chaque convive, quelque bizarre qu’il fût, il y avait trouvé un bout rimé avec un à-propos qui soulevait les applaudissemens et les rires.

Seligman était le bouffon amateur, amusant les convives gratis et pour le seul plaisir de les amuser. À un autre bout de la table se tenait un bouffon à gages, commandé par les amphitryons, et que pour toutes les solennités l’on fait ; venir de l’antique capitale de l’Alsace, sa résidence habituelle. Ce personnage n’était autre que le petit Léon, plus vulgairement appelé Loebsché le jongleur[1]. Il faisait maints tours de passe-passe, fondait les pièces de cinq francs comme de la cire à la lueur des bougies et les rétablissait aussitôt ; il faisait avec des mouchoirs et des cravates mille nœuds inextricables, et les déliait avec une facilité étonnante ; il jouait avec des gobelets, escamotait des bagues et des chaînes de montre qu’on retrouvait dans les souliers ou les poches des voisins ; Il représentait aussi des scènes grotesques où il se donnait à lui-même la réplique avec une intarissable faconde.

Un personnage moins gai, c’est le schamess, qu’on a déjà entrevu plus haut. Il est préposé à la police, de la synagogue, et y remplit toute sorte de fonctions. Le jour d’une noce, il est chargé de certaines pratiques traditionnelles, entre autres de celle de casser la bouteille et d’inviter au repas. Il est de toutes les cérémonies tristes ou gaies. Le schamess est généralement craint et respecté, car il est censé entretenir, commerce avec le ciel. La mort vient-elle visiter une famille, trois jours au moins à l’avance le schamess en est averti par des présages ; trois jours à l’avance, lui seul a surpris dans le silence de la nuit les cris sinistres de la chouette, les hurlemens plaintifs des chiens, le craquement mystérieux des meubles ; lui seul a entendu remuer les instrumens tumulaires déposés dans sa demeure. Le schamess est aussi l’homme aux visions étranges. Celui de Wintzenheim vous dira comment, quelques heures après la mort du vénérable rabbin Hirsch, il vit à la tombée du jour une flamme céleste planer sur le front chauve du pieux défunt et en même temps des caractères cabalistiques se dessiner sur les murs. Il est surtout une certaine époque de l’année où le bedeau voit et entend des choses qu’il n’est pas donné à tous de voir et d’entendre. C’est en automne, à l’approche des jours terribles, quand tout le monde fait

  1. En allemand, Possenmacher.