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dans le temple, de grand matin ou plutôt bien avant dans la nuit, des prières et des actes de dévotion pour se préparer au grand jour du jugement, quand, pendant dix jours, les âmes pieuses font pénitence, que les morts, aussi bien que les vivans, sont censés s’inquiéter, s’agiter. Dans ces momens solennels, le schamess fait de lugubres rencontres, alors que, couvert de son manteau noir et son marteau de bois à la main, il parcourt durant près de deux semaines, à trois heures après minuit, le hameau silencieux, frappant aux portes des maisons juives pour appeler les fidèles à la prière. Il marche, et presque à chaque pas c’est une nouvelle apparition. Ici il est suivi d’une longue file de fantômes blancs, mânes infortunés d’hommes qui ont péri sans doute de mort violente, car ils tendent vers le schamess leurs mains décharnées, comme pour le conjurer de les ensevelir selon les rites usités dans Israël. Plus loin, il est assailli par une troupe d’oies blanches, pécheurs métamorphosés et en peine, qui tournoient à grand bruit autour de lui et jettent des cris lamentables. Elles accompagnent le schamess jusqu’à quelques pas de la synagogue ; mais là, comme si elles étaient repoussées par la sainteté du lieu, leurs ailes s’alourdissent soudain, leurs gémissemens s’éteignent, et elles disparaissent sous terre pour reparaître à la même heure et au même endroit le lendemain et les jours suivans.

C’est le schamess qui recueille le dernier soupir des agonisans et leur ferme les yeux. C’est lui qui dans la maison mortuaire, seul au fond d’une chambre écartée, passe la nuit avec le trépassé, à la lueur vacillante d’une lampe funèbre. C’est lui encore qui, la veille du kippour (jour du jugement), quand la foule émue s’est écoulée de la synagogue, qui ne doit point rester vide cette nuit-là, y demeure jusqu’au matin. Assis sur l’estrade sacrée, une Bible à la main et revêtu de son linceul[1], il veille et prie sans s’effrayer des crépitations de la lampe perpétuelle suspendue devant l’arche sainte, ni des bruits insolites qui se font entendre vers minuit, quand les morts viennent à leur tour adresser leurs prières au Dieu d’Israël.

La fin du repas fut troublée par une triste nouvelle. À peine le rabbin avait-il achevé de réciter les sept bénédictions nuptiales, qu’on vint annoncer aux Marem que le jeune malade était à toute extrémité. Les parens sortirent aussitôt précipitamment, entraînant le plus grand nombre des convives.

  1. Le soir et tout le jour suivant, les fidèles qui sont mariés sont revêtus d’une tunique blanche qu’ils emporteront au tombeau.