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la conception, malgré l’exiguïté des figures. Les tableaux de M. Decamps émeuvent plus puissamment que bien des toiles où les personnages sont plus grands que nature. L’absence de ces trois maîtres est donc à regretter.

Cependant il ne faut pas traiter avec dédain les hommes laborieux ou ingénieux dont les œuvres sont exposées cette année. Si nous n’avons pas à signaler de compositions d’un mérite éclatant, d’un caractère inattendu, d’une incontestable nouveauté, nous avons devant nous des œuvres capables de nous intéresser par le maniement du pinceau. Si l’invention n’y joue pas un rôle très important, en revanche nous avons à louer la dextérité des artistes.

Parmi les paysagistes qui n’ont rien envoyé, et dont le talent est depuis longtemps reconnu, nous devons nommer M. Troyon, M. Jules Dupré, M. Paul Huet, Mlle Rosa Bonheur. Je fais des vœux bien sincères pour que M. Troyon ne se laisse pas éblouir par l’éclat et le nombre de ses succès. La popularité de son nom est aujourd’hui si bien établie parmi les amateurs, que ses œuvres, à peine ébauchées, sont déjà disputées. Il est donc à souhaiter qu’il se défie de cet engouement, car s’il possède un talent très réel, il n’a pas encore touché le but, et il compte aujourd’hui parmi ses amis plus de courtisans que de francs parleurs. M. Jules Dupré est engagé dans une voie périlleuse. À force de poursuivre l’imitation, il est arrivé à ne jamais se contenter ; il fait, défait et refait vingt fois ce qu’il a commencé. Les flatteurs ne lui ont pas manqué ; mais il n’a puisé dans les éloges qu’une ambition plus haute et plus fière, et malheureusement ce qu’il cherche n’est pas du domaine de la peinture. Pour M. Troyon, qui n’est pas assez sévère pour lui-même, comme pour M. Dupré, qui n’a pas assez d’indulgence pour ses œuvres, le contrôle de la foule serait un contrôle salutaire. M. Paul Huet, par son Inondation de Saint-Cloud, s’est affermi dans la place qu’il avait conquise. Il possède le sentiment poétique, chose rare parmi les paysagistes, et s’il néglige trop souvent d’écrire sa pensée dans une langue précise ; il n’est jamais vulgaire. Quant à Mlle Rosa Bonheur, tout en faisant la part de l’exagération dans les louanges qui lui ont été prodiguées, j’aime à reconnaître qu’elle apporte dans l’imitation de la nature une grande naïveté. Je ne l’admire pas comme l’admirent ses panégyristes, mais son talent m’étonne par sa virilité, et ses œuvres sont toujours intéressantes, parce qu’elles sont toujours simplement conçues et menées à fin sans défaillance.

J’ai nommé bien des absens, et pourtant l’exposition ne manque pas d’attrait. Je ne parle pas du nombre des ouvrages envoyés : la peinture seule dépasse deux mille sept cents. Il est évident que les artistes se méprennent ou feignent de se méprendre sur le but des