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du dessin, je crois que le public ne s’en occuperait guère. Or, la discussion une fois admise comme une nécessité, ne vaut-il pas mieux qu’elle invoque les grands modèles comme des argumens ? Je sais l’accusation qu’on jette à la face des écrivains assez imprudens pour parler du passé. On dit qu’ils ne comprennent rien au progrès. Leur siècle marche, et ils demeurent immobiles. C’est un reproche terrible, dont je ne suis pas épouvanté. Malgré mon admiration pour les grands modèles de l’antiquité, de la renaissance, je ne fais pas fi de mon temps, et le progrès n’est pas pour moi un mot vide de sens ; mais je crois donner aux peintres, aux sculpteurs de nos jours un témoignage éclatant d’estime et de sympathie en comparant ce qu’ils font aux œuvres de leurs devanciers. S’ils désirent vraiment conquérir une solide renommée, ils ne doivent ni s’étonner, ni s’affliger de mes habitudes. Les argumens que j’invoque leur sont familiers. Le passé, que j’appelle en témoignage, n’est pas un danger, mais un honneur. Cette pensée, qui semble n’avoir pas besoin d’être justifiée par la démonstration, rencontre bien des contradicteurs. Admirer les œuvres de la Grèce, de l’Italie, ou dénigrer les œuvres de la France moderne est une seule et même chose. À peine est-il permis de citer les noms de Jean Goujon et de Pierre Puget. Pour contenter les peintres et les sculpteurs de nos jours, il faudrait nous en tenir à ce qu’ils font et ne pas regarder en arrière. C’est, à mon avis, une étrange manière de comprendre la dignité de leur travail. S’ils n’ont rien négligé pour l’accomplissement de leur dessein, s’ils ont fait appel à toutes leurs facultés, ils ne doivent reculer devant aucune comparaison. Dans le domaine de l’art comme ailleurs, on peut occuper le second rang sans se trouver humilié, et pour obtenir l’admiration, il faut toujours avoir devant les yeux les œuvres admirées par une longue suite de générations. Je me défie de ceux qui médisent de leurs devanciers, ou qui feignent de les redouter comme terme de comparaison. Quand on a l’ambition de surpasser ses devanciers, on doit commencer par leur rendre justice.

Ce qui rend la discussion difficile, c’est que les œuvres importantes font défaut. On rencontre sans peine des tableaux où se révèle une grande dextérité dans le maniement du pinceau, qu’on regarde avec plaisir ; mais ces tableaux, que parfois on aimerait à posséder, ne signalent aucune tentative nouvelle. On y trouve une nature de talent qui ne peut exciter ni joie ni colère, à quelque doctrine que l’on appartienne. Or pourquoi les ouvrages importans font-ils défaut ? est-ce que l’imagination n’est plus aujourd’hui dans notre pays aussi active, aussi féconde que dans l’intervalle compris entre 1830 et 1848 ? Je ne crois pas que l’esprit français ait perdu, comme on le dit, une partie de sa vigueur ; mais la spéculation envahit