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ferait mieux encore en sacrifiant la quantité à la qualité. Elle paraît attacher trop d’importance à couvrir de couleur la nef et les bas-côtés. Souvent même elle ne prend pas la peine de savoir si le sujet qu’elle propose, je devrais dire qu’elle impose, convient à l’emplacement choisi. Je pourrais citer plus d’un peintre condamné à distribuer une demi-douzaine de figures sur un pan de muraille à peine assez large pour porter un personnage.

Je ne m’étonne donc pas que les œuvres importantes manquent au salon de cette année. Trop de causes se réunissent pour que l’invention ne languisse pas dans les arts du dessin. Personne aujourd’hui ne croit avoir le temps d’attendre. Ceux qui possèdent la célébrité jouissent paisiblement du fruit de leurs travaux ; ceux qui ont rêvé un nom éclatant renoncent sans regret à leur ambition, et n’ont d’autre souci que le succès industriel. Les hommes assez courageux pour dépenser une année de leur vie dans l’achèvement d’une œuvre unique sont cités comme des caractères bizarres, et même parfois comme des esprits dont la santé n’est pas bien assurée. L’avenir, c’est demain. La gloire est un mot qui n’a plus cours. Que signifie la postérité ? À quoi bon se tourmenter pour assurer la durée de son nom ? Recruter parmi ses amis des langues bien affilées, attirer dans son atelier de nombreux chalands, n’est-ce pas là le parti le plus sage ? Cette opinion est si bien accréditée, qu’il faut en tenir compte lorsqu’on entreprend d’estimer les ouvrages envoyés au salon de cette année. Les artistes qui visent au succès et ne songent pas à la renommée ne peuvent être jugés comme les rêveurs d’autrefois, qui voulaient une gloire laborieusement conquise.

La peinture militaire, comme on devait s’y attendre, tient une place considérable au salon de 1857. Nous avons dans la première salle trois épisodes de l’expédition de Crimée : la Bataille de l’Alma, la Bataille de la Tchernaïa et le Débarquement des troupes : La Bataille de l’Alma ne comptera certainement pas parmi les meilleurs ouvrages de M. Horace Vernet. On ne peut nier qu’il n’y ait dans ce tableau des morceaux bien faits, ou du moins adroitement faits, des cavaliers solidement campés sur leur monture ; mais il manque à cette œuvre quelque chose dont on ne parle plus guère, qui pourtant n’est pas sans importance, et s’appelle composition. Le regard ne sait où s’arrêter, car toutes les figures du premier plan offrent à peu près le même intérêt, et l’on peut affirmer sans raillerie que le tableau est encore à faire. Nous aurions mauvaise grâce à dire que nous sommes désappointé : les défauts que nous signalons dans la Bataille de l’Alma n’ont pour nous rien d’inattendu. La Prise de la Smala, le Siège de Rome ne valent pas mieux que l’œuvre nouvelle, et sont conçus dans le même système. M. Vernet paraît croire et