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dépourvue de vie. Il y a dans le Débarquement des troupes un mouvement, une vérité, qui font de ce tableau un ouvrage très digne d’attention. Je dis très digne d’attention, et si j’allais plus loin, je dépasserais les limites de ma pensée, car M. Pils, qui a étudié avec soin toutes les parties de son sujet, qui n’a rien négligé pour rendre ce qu’il avait conçu, ne possède pas ce qui charme les yeux. Les couleurs qu’il choisit ne sont jamais étonnées de se trouver ensemble, mais leur réunion n’a rien d’attrayant. Je serais donc mal venu à prononcer le mot d’admiration en parlant du tableau de M. Pils. Les pensionnaires de Rome ne nous ont pas habitués à des œuvres d’un caractère aussi animé, et jusqu’à présent l’auteur, lauréat de notre école, n’avait rien produit qui permît d’espérer une composition pareille. Les figures sont dessinées de façon à contenter ceux qui connaissent la forme réelle. Quant au choix des tons, il laisse à désirer. L’uniforme, il est vrai, n’offre pas au pinceau des ressources très variées ; mais on pardonnerait volontiers quelques tricheries, si l’auteur parvenait à séduire le regard en altérant quelques parties de l’uniforme pour lui donner plus d’ampleur, et ce parti une fois adopté, la lumière distribuée sur des étoffes moins raides charmerait le spectateur. Je me plais à penser que M. Pils, plus hardi, plus sûr de lui-même, ne reculera pas devant l’interprétation de ses modèles, si l’occasion lui est offerte de traiter un autre sujet militaire. La comparaison de son tableau avec celui de M. Vernet n’est pas indifférente, car elle prouve que l’habileté matérielle n’est pas la partie la plus importante de la peinture. Il est hors de doute que l’auteur de la Bataille de l’Alma, malgré son âge avancé, possède encore aujourd’hui une dextérité singulière. On peut dire, sans le flatter, qu’il fait tout ce qu’il veut. Son malheur est de vouloir bien rarement quelque chose d’élevé. S’il était capable d’inventer, il compterait certainement parmi les peintres éminens de notre école. Comme il a presque toujours mis l’œil et la main au-dessus de la pensée, l’opinion, équitable en cette occasion, le range parmi les praticiens. M. Pils ne possède pas l’adresse de M. Vernet, et sans doute ne la possédera jamais ; mais il attribue à l’invention l’importance qui lui appartient, et quoique sa main ne soit pas toujours docile, il a su faire du Débarquement des troupes en Crimée un tableau animé. Il est dans le bon chemin ; s’il continue de marcher vers le même but, c’est-à-dire s’il comprend de plus en plus la nécessité de ne pas s’en tenir à ce qu’il voit et d’ajouter la pensée au témoignage des yeux, il prendra certainement dans notre école un rang très honorable. Pour ma part, je suis heureux d’avoir à louer l’œuvre d’un pensionnaire de Rome, l’occasion se présente si rarement ! Les études, les compositions qui nous viennent chaque année