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Il y a dans les terrains des morceaux qui gagneraient à changer de forme. M. Daubigny, porté par la nature de ses facultés vers le paysage poétique, procède encore trop timidement. Dans son Printemps comme dans son Soleil couché, il se tient encore trop près des choses qu’il a vues. Il n’ose pas dire ce qu’il sent en pliant les choses au sentiment qu’il éprouve. Il entrevoit les régions élevées de l’art, il se met en route pour y entrer, et le courage lui manque pour les fouler d’un pied libre et vigoureux. Ses tentatives, quoique timides, méritent les encouragemens de tous ceux qui dédaignent l’imitation littérale. La voie qu’il a choisie n’est pas aujourd’hui très fréquentée. Si nous voulons qu’elle porte bientôt des empreintes de pas plus nombreuses, il ne faut rien négliger. M. Daubigny ne s’en tient pas au paysage prosaïque, au paysage qui réussit aujourd’hui ; pour qu’il entraîne à sa suite ceux qui hésitent encore sur le choix du chemin, nous devons d’abord lui dire qu’il est dans le vrai, et lui dire d’une voix plus haute qu’il n’embrasse pas assez résolument la cause de la vérité. Puisqu’il a raison, qu’il ne tâtonne plus, qu’il interprète librement ce qu’il voit, et ne se défie plus des facultés qu’il possède. Il a révélé cette année ce que ses premiers ouvrages permettaient de pressentir, un sentiment poétique dont le paysage ne peut se passer. Qu’il s’engage donc plus hardiment dans ce pays de la fantaisie, que le vulgaire n’a jamais entrevu, et que tous les artistes glorieux ont voulu visiter.

Les compositions de M. Français n’ont pas grand’chose à démêler avec l’invention, et cependant il serait injuste de les passer sous silence. Si elles relèvent de la réalité, elles sont traitées avec une élégance, une précision qui les désignent à l’attention de la foule. La plus importante de ces compositions, une Journée d’hiver, peut se comparer, pour la finesse des détails, aux paysages de l’école hollandaise. Les arbres dépouillés de leurs feuilles sont rendus avec une adresse merveilleuse ; la neige n’est pas copiée avec moins de fidélité. Quant aux montagnes du fond, je consens à croire qu’elles sont imitées exactement : je ne mets pas en doute la sincérité de l’auteur ; mais comme, au lieu de se détacher du ciel, elles paraissent faire un trou dans le ciel, l’exactitude de la représentation fût-elle cent fois démontrée, c’était le cas de tricher. Que l’aspect des choses donne parfois raison à M. Français, je ne le nie pas : le point capital est de se faire comprendre, et les montagnes de son tableau ne s’expliquent pas assez clairement. En face de la nature, lors même que l’apparence n’est pas d’accord avec la réalité, on est obligé d’accepter l’apparence ; en face de l’imitation, on a le droit de se montrer plus exigeant et de demander que l’apparence laisse deviner la réalité. Or, dans le tableau de M. Français, l’apparence contredit