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de lui rappeler ses fautes, de lui signaler tout ce qui lui manque, d’exercer enfin, comme le dit d’Aguesseau, les sévères fonctions de la censure publique ; mais s’il doute de lui-même, s’il renonce à poursuivre son but, s’il répète, en manière d’excuse, que l’âge de l’industrie a commencé, que le matérialisme a tout envahi, et que les lettres ne peuvent plus être qu’un passe-temps frivole, alors nous nous rappelons tant d’heureux épisodes qui rachètent les misères de la littérature matérialiste, et nous en voulons à une époque si richement douée de ne pas s’estimer davantage.

En réalité, si quelque chose a manqué à notre siècle, ce n’est pas la recherche de l’idéal ; ne serait-ce pas plutôt la notion claire, précise, de ce que représentent ces mots si souvent et si diversement employés ? A de certaines époques, a-t-on dit, le point difficile n’est pas d’accomplir son devoir, mais de le connaître ; nous pouvons nous appliquer cette parole. L’enthousiasme ne nous a pas toujours fait défaut ; seulement, aux heures où il s’est produit (hélas ! voilà longtemps déjà), il se laissait emporter au hasard, et nous n’avons pas su le diriger. Oui, le XIXe siècle a eu des générations ardentes, il a eu des éclairs d’inspiration et de poétiques élans ; mais si on lui eût demandé en ce temps-là vers quel but il marchait, l’incohérence de ses réponses eût accusé peut-être le vague de sa pensée. C’est un grand mal que l’enthousiasme à faux, et l’une des plus fâcheuses conséquences de ce mal, c’est qu’on se décourage vite : des hauteurs ambitieuses où l’esprit s’efforçait d’atteindre, on retombe alors dans un matérialisme vulgaire. J’ai bien peur que ce ne soit là tout un chapitre de notre histoire. Qui ne se rappelle cette période du siècle, période confuse, indisciplinée, mais généreuse, où l’on vivait par l’esprit au lieu de courir après l’or ? Chaque nouveau-venu apportait un système philosophique, une formule religieuse, ou tout au moins une révolution littéraire ; on voulait réformer le monde, et il n’y avait pas de poète si timide qui ne célébrât, comme le chantre de Pollion, la venue des temps prédits par la sibylle : naïf délire, prétentions ridicules, moins ridicules pourtant que notre sagesse d’aujourd’hui ! Il y eut alors des voix moqueuses qui firent une guerre de tous les jours à cet enthousiasme désordonné : assurément la raillerie était de mise, et le bon sens y trouva maintes fois son compte ; mais ces médecins de l’intelligence réussirent si complètement, que leurs malades semblèrent à jamais guéris de la sainte folie de l’idéal. Il fallait corriger des travers inoffensifs, réprimer de juvéniles équipées : on tarit la source des pensées généreuses. Peut-être s’aperçoit-on enfin, un peu tard seulement, qu’il faut régler l’enthousiasme, non le redouter et le proscrire. Au lieu de recommander aux rêveurs le souci des intérêts matériels, que ne