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motif. M. de Molènes décrit ainsi un des compagnons de son héros : « Épris de l’infini et de l’inconnu, plus inquiet que les vents et les nuages, il détruisait à plaisir tous les tranquilles bonheurs dont l’entouraient d’aimables et sourians génies… Il était de ceux qu’entraîne en son abîme cette sirène qui habite des gouffres bien autrement profonds que les gouffres marins, l’idéal. » Ce portrait convient aussi bien à Briolan qu’aux aventuriers qui l’accompagnent ; il convient, si j’ose le dire, à l’auteur lui-même dans cette première phase de son talent. Quel est cet idéal à la poursuite duquel il se sent entraîné ? Rien de sérieux assurément, une écume qui blanchit à la cime d’une vague, un nuage qui fuit à l’horizon. Si le romancier avait donné plus de précision à sa peinture, il aurait pu créer un type original et vrai ; Briolan aurait pu être l’image de certaines générations avides, ardentes, mais sans foi, sans croyances positives, incapables de comprendre la réalité du devoir, et consumant leur activité malsaine en de stériles aventures.

Que serait devenu le talent du jeune écrivain, si la révolution de février n’avait pas réveillé chez lui le sentiment de la réalité ? Aurait-il réussi à trouver sa voie ? aurait-il renoncé à ce XVIIIe siècle de fantaisie, qui ne pouvait fournir un sérieux aliment à sa pensée ? Je crois que l’auteur de Valpéri, réduit à ses seules forces, aurait eu quelque peine à se transformer ; je crois que la vie exclusivement littéraire lui eût été mauvaise, mais je crois aussi qu’il était mieux disposé que personne à suivre les plus rudes avertissemens du destin. Il l’a dit lui-même : « Je défie tous les René, tous les Werther, tous les Obermann de poursuivre leurs langoureuses amours avec les chimères derrière dix tambours qui battent la charge. J’ai pensé souvent qu’aux heures du combat il en était de certaines pensées qui gisent silencieuses au fond de notre cœur comme de ces braves dont parle le Cid, que le péril met soudain debout dans les ténèbres : Nous nous levons alors… Si les balles ont fait entrer la mort dans nombre de corps, dans combien d’âmes ont-elles fait entrer la vie ! » M. de Molènes est une de ces âmes ; il s’est levé à l’appel du péril, et les balles sifflant autour de lui ont mis en fuite les apparitions décevantes qui égaraient sa jeunesse. Il venait de terminer le récit des aventures de Briolan, lorsque la révolution de février lui mit une épée à la main. La transformation fut subite. Les enfans du peuple de Paris étaient organisés en gardes mobiles, et le suffrage universel ayant été naturellement accordé à une troupe issue de la révolution, ce fut à eux de choisir leurs officiers ; l’auteur du Chevalier de Tréfleur se présenta aux élections et fut nommé lieutenant. Nous voilà loin de M. de Valpéri et du chevalier de Rivolles ! Les épreuves par lesquelles va passer le lieutenant de la garde mobile