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pour ne citer qu’une seule de ces satires altières, violait manifestement le bon goût et la justice. Une certaine licence soldatesque, unie à des prétentions de gentilhomme qui rappelaient trop les premiers héros du conteur, confondait à plaisir les émeutes grossières et les immortels principes de 89. Cependant, malgré les erreurs qu’il a pu y commettre, M. de Molènes aurait tort de regretter tout à fait cette campagne. Ce qui nous intéresse surtout dans ces tableaux, c’est le développement de son éducation morale. Le même esprit qui s’enthousiasmait naguère pour les scandaleuses prouesses de Valpéri et du chevalier de Rivolles rencontre dans la vie militaire toute une source d’aspirations religieuses ; un cortège de mystiques visions l’accompagne sous la tente. Dans ses satires du désordre intellectuel et moral mis à nu par la révolution de février, dans la Comédienne, dans Cornelia Tulipani, ces sentimens se dégagent déjà, quoique sous une forme amère et à travers des tableaux trop crus. Ils brillent d’une lumière bien autrement vive dans ses récits des campagnes d’Afrique. Un des meilleurs tableaux qu’ait tracés M. de Molènes, c’est bien certainement, avec la Garde mobile, celui qu’il a intitulé Voyages et Pensées militaires. La vie du bivouac, les émotions de la bataille, la vue des morts et des mourans, tout cela est senti et décrit comme par un gentilhomme chrétien. Les pieuses pensées naissent et s’envolent mélodieusement au milieu des cris du combat et des inspirations guerrières. L’auteur trouve tout à coup des accens d’une douceur inattendue. On s’aperçoit bien qu’il n’écrit pas une phrase banale, quand il parle de l’influence si tendre, si suave, et pourtant si virile, exercée sur lui par l’Imitation de Jésus-Christ ; il porte dans sa sabretache le merveilleux manuel de la vie ascétique, il l’a relu ce matin avant de marcher au feu. Un jour il rencontre un de ses camarades, l’épaule fracassée par une balle, et dont le visage exprime une merveilleuse douceur. « Dieu, s’écrie-t-il, nous permet quelquefois d’acheter par un peu de sang des instans d’une paix inconnue à ceux dont les veines ne se sont jamais ouvertes. Depuis que la croix s’est levée sur le monde, tout être qui souffre, s’il supporte avec résignation sa douleur, sent qu’il marche dans une voie bénie. Il éprouve dans toute son âme un apaisement subit, un bien-être secret et profond. Je crois qu’il reçoit la visite de celui qui n’a oublié aucune des angoisses de la chair. » Ces pensées religieuses, unies aux sentimens militaires, reviennent souvent dans les récits de M. de Molènes, et y produisent plus d’effet que ces polémiques où sifflent comme des balles des paroles méprisantes. La mort du général Bouscaren, dans ce récit de l’expédition de Laghouat, est vraiment un tableau de maître, et les deux inspirations que nous venons de signaler s’y combinent avec une harmonieuse grandeur.